Le secteur de la santé (y compris les services sociaux) représente dans le budget 2023-2024 du Québec 43 % des dépenses courantes de services publics du gouvernement. C’est le même pourcentage qu’en 2019-2020 avant la pandémie.

Au total, les dépenses sont passées de 45,4 à 59,0 milliards de dollars, soit une augmentation globale de 30 %. Toutefois, si on tient compte de l’inflation de 16,4 % (IPC), l’augmentation en dollars constants ne fut que de 11,4 %. Enfin, il y a un autre fait important à souligner : durant cette période, la population totale a augmenté de 3,3 %, mais la population de plus de 65 ans, qui est la plus grande consommatrice de soins, a augmenté de 14,5 %.

Durant la période de 2019 à 2023, tout indique que le secteur de la santé a été sous-financé : indépendamment de la pandémie, le budget de base aurait été de toute façon insuffisant pour satisfaire les besoins. La pandémie n’a fait que révéler un manque structurel important de capacité physique et de ressources en personnel qui existait déjà et qui découlait des restrictions des gouvernements précédents. Le système est tout simplement incapable actuellement d’offrir des services suffisants et adéquats : on attend dans les services d’urgence, on attend pour des interventions chirurgicales et on attend quand on cherche des services décents pour les aînés qui sont en fin de vie. Dans une analyse publiée le 19 mai par Info Radio-Canada, Mélanie Meloche-Holubowski a bien résumé la situation en écrivant que « le système de santé craque de partout ».

Que se passera-t-il à la suite de la réforme annoncée par le gouvernement qui changera à nouveau et de façon importante l’organisation des soins de santé qui sera centralisée au sein d’une nouvelle société étatique pour superviser le fonctionnement de tout le système, tout en essayant en même temps de déconcentrer le pouvoir décisionnel vers les établissements de services ? Ce qui surprend le plus, comme l’a souligné l’ancien ministre Michel Clair, c’est que la nouvelle société deviendra l’employeur « unique » de tout le réseau d’établissements.

Du simple point de vue de la sécurité opérationnelle, le gouvernement prend un risque énorme de subir tôt ou tard des bris de systèmes ou des sabotages informatiques.

À court terme, il n’y a pas de mesure explicite dans la réforme qui permettra de diminuer les délais d’attente. À moyen terme, d’ici cinq ans, le bénéfice des mesures de déconcentration pourrait bien être contrebalancé par le désavantage de la centralisation. Tous les établissements seront soumis au même système de gestion, de façon à pouvoir suivre l’évolution des services fournis en relation avec leur situation financière. Il faudra plusieurs années pour mettre en place et bien balancer la nouvelle structure organisationnelle. Dans cinq ans, quand elle sera installée, pourra-t-on dire que ce fût un pas dans la bonne direction ?

Remise en question

Les effets de la COVID-19 et l’arrière-plan du vieillissement de la population incitent plusieurs gouvernements à remettre en question l’organisation et la gouvernance de leurs systèmes de santé, notamment en Europe. Le but de cette démarche est de les renforcer pour qu’ils aient la capacité de faire face à des évènements majeurs qui risquent de survenir de plus en plus souvent compte tenu de l’impact des changements climatiques sur la santé.

En créant Santé Québec, le gouvernement ne suit pas la même démarche. Il met plutôt en place le dernier palier de gestion qui vise à libérer complètement le Ministère de la gestion directe du réseau de soins et de corriger en même temps l’erreur de la réforme Barrette-Couillard qui avait été d’abolir le pouvoir local de gestion opérationnelle des établissements de services. Quelles seront les conséquences à long terme de cette nouvelle orientation ?

Tout d’abord, l’agence voudra obtenir le financement adéquat pour remplir les obligations légales à la base du système, à savoir que toute personne a le droit de recevoir les soins que requiert son état et que tout établissement, lorsqu’une demande est faite, doit voir à ce que soient fournis ces soins. L’agence prend une responsabilité qui est très claire, mais qui est énorme.

Qu’arrivera-t-il si le Conseil du trésor continue de donner une enveloppe budgétaire jugée insuffisante et que la présidence de l’agence et son conseil d’administration refusent ce sous-financement ?

Dans quelques années, lorsque le Ministère sera principalement occupé à faire la planification globale à long terme du système de soins comme le prévoit la loi, c’est l’agence qui aura la responsabilité de préparer le plan stratégique et opérationnel expliquant les enjeux, les objectifs et les résultats visés à moyen terme. Elle aura aussi le pouvoir délicat de déterminer l’allocation interrégionale des ressources qui devra être faite de façon équitable, d’autant plus qu’il y aura maintenant de nouveaux conseils d’établissement composés de patients et de représentants locaux. Au total, la personne responsable de présider Santé Québec deviendra aussi importante que le ministre de la Santé et des Services sociaux lui-même.

En résumé, la dynamique politico-administrative du secteur le plus important et le plus complexe des services publics du Québec sera totalement modifiée. Va-t-on réussir à accroître l’efficacité et l’efficience des programmes de santé et de services sociaux comme il est souhaité ? Il est difficile de prévoir les effets d’un changement structurel d’une telle envergure sur la quantité et la qualité des soins. Des réserves importantes ont été exprimées par les membres des conseils de médecins, dentistes et pharmaciens des centres hospitaliers universitaires qui sont très critiques face aux changements proposés dans la structure de gouvernance clinique des établissements. Il en est de même des organisations syndicales qui feront face dorénavant à un employeur unique, perdant la possibilité d’avoir certaines conditions de travail adaptées aux particularités du fonctionnement au niveau local.

Quant aux patients eux-mêmes et pour la population en général, qui a commencé à perdre confiance dans un système caractérisé par un déficit de soins qui va de l’enfance à la vieillesse, cela prendra du temps avant que cette confiance revienne. L’agence Santé Québec aura à faire ses preuves dans un contexte socioéconomique difficile. Comment les futurs administrateurs de cette agence réussiront-ils à relever un tel défi ? On ne peut pas encore une fois se permettre un échec.

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