Même si la situation budgétaire du gouvernement du Québec s’est améliorée au cours des dernières années, des défis importants devront être relevés qui entraîneront une hausse majeure des dépenses publiques et risquent de compromettre l’équilibre financier de l’État.

Ces facteurs de déséquilibre ne pourront pas être facilement éliminés.

L’accaparement des ressources par la santé

Le principal problème budgétaire du gouvernement vient de la santé. La croissance des coûts sanitaires dépasse le rythme de croissance des revenus publics, créant un déséquilibre néfaste dans la gestion des dépenses publiques.

Alors qu’en 2002, la santé représentait 42 % des dépenses de programme, 20 ans plus tard, elle accapare 50 % du budget consacré au financement des interventions des différents ministères. Le rythme d’augmentation du budget de la santé est par conséquent supérieur à celui des dépenses publiques.

Ainsi, de 2012 à 2022, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) s’est approprié en moyenne 75 % de la hausse annuelle du budget de programmes et, en au moins trois occasions, le ministère a reçu plus que l’augmentation totale du budget de programmes.

Malgré un tel accroissement, le MSSS fait face à des pressions importantes pour augmenter les services à la population : en santé mentale, en services à domicile, en santé publique, en services hospitaliers et autres. On peut donc facilement en déduire que le gouvernement cherchant à répondre à ces besoins continuera d’augmenter plus que proportionnellement le budget de la santé.

Cependant, si rien de significatif n’est fait rapidement pour diminuer la croissance des coûts en santé, c’est 60 % du budget des programmes publics qui y sera consacré d’ici une quinzaine d’années.

Les besoins insatisfaits des autres secteurs

Le déséquilibre budgétaire structurel que crée la santé se répercute directement sur les autres secteurs de l’administration, qui doivent comprimer leurs dépenses de façon plus que proportionnelle. Ce manque à pourvoir mène à une prise en compte inadéquate des besoins des diverses clientèles qu’ils desservent.

Pourtant, les besoins sont importants et sont de moins en moins faciles à ignorer. Pensons à l’éducation et à l’enseignement supérieur, dont le sous-financement persistant est l’objet de récriminations de plus en plus fortes. Pensons à l’habitation, à la justice, aux transports, à l’agriculture, à la culture, à la sécurité publique, où là aussi des besoins non comblés existent. On peut choisir de les ignorer pendant un moment, mais il vient un temps où l’exaspération publique et les dénonciations ne permettent plus de le faire.

Cette bulle de besoins non comblés est comme une dette dont on reporte sans arrêt le remboursement et qui ne cesse d’augmenter. Invisible, elle n’apparaît pas dans les comptes publics, mais elle pèse lourdement sur le bilan réel.

Des crises occasionnelles se manifestent, secteur par secteur, auxquelles il faut trouver une par une des solutions inadéquates, faute des moyens qu’une gestion plus équilibrée des finances publiques aurait permis.

Le coût énorme de la transition écologique

Le Québec s’est donné comme objectif de réduire l’émission de GES de 37,5 % d’ici 2030 et de 85 à 90 % à l’horizon 2050. Qu’elle soit climatique ou énergétique, la transition écologique dans laquelle le Québec est engagé coûtera très cher (des milliards de dollars chaque année), et même si ces coûts n’auront pas à être assumés entièrement par l’État, ils seront largement supérieurs aux fonds que l’État y consacre actuellement.

Les entreprises ne disposent pas d’un trésor permettant de financer les multiples changements requis pour réduire leur empreinte carbone, améliorer leur efficacité énergétique et demeurer concurrentielles. Elles devront être aidées et le financement de la recherche sur les technologies nouvelles dont elles auront besoin reviendra en bonne partie au gouvernement.

De même pour les citoyens. Les profondes transformations qui marqueront l’économie ne manqueront pas d’avoir des répercussions sur la population et inciteront le gouvernement à compenser leurs effets négatifs : hausse des prix, pertes d’emploi, formation de la main-d’œuvre, soutien financier, etc. De même pour les collectivités locales, qui auront à faire face à des dépenses importantes pour le transport public, l’habitation, l’aménagement physique de leur territoire et de leur réseau routier, la préservation des ressources en eau potable ou le contrôle de la pollution et des déchets domestiques. Elles ne pourront le faire qu’avec l’aide de l’État.

La gestion inadéquate de la dette

Toutes les années où le gouvernement est en déficit, il emprunte le montant qu’il doit fournir au Fonds des générations (FDG). Celui-ci a pour objectif de rembourser la dette, mais pour y contribuer, le gouvernement, paradoxalement, augmente la dette. On peut soutenir que les sommes versées étant gérées par la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), les intérêts générés dépassent le coût de chaque emprunt, sauf évidemment si le bilan de la CDPQ est négatif comme ce fut le cas dans la dernière année ou en 2008. Dans ce cas, on augmente la dette en empruntant alors que l’actif de la CDPQ est en diminution, ce qui est loin d’être optimal en termes de gestion de la dette.

Un autre aspect problématique de la dette québécoise concerne l’impact des emprunts sur le budget courant de l’État. Comme le font d’autres provinces, le budget du Québec ne porte que sur les opérations courantes. Les immobilisations étant gérées et financées séparément, elles n’en font pas partie.

Ce faisant, le portrait des finances publiques qui en résulte n’est pas complet (selon les normes du FMI) et peut masquer certains aspects paradoxaux et inquiétants de celui-ci, par exemple que la dette continue d’augmenter alors que le gouvernement fait des surplus.

Dans les années récentes, le poids de la dette par rapport au PIB semble s’être stabilisé autour d’un peu moins de 40 %. C’est cependant récent et attribuable à une croissance économique forte et à l’inflation plutôt qu’à une diminution des besoins d’emprunt du Québec. En effet, le Québec est engagé dans une dynamique de dépenses d’investissements annuels, donc d’emprunts, de plus de 10 milliards de dollars par année pour les 10 prochaines années (Plan québécois des infrastructures). Ce faisant, le gouvernement semble faire le pari que la forte croissance économique se poursuivra alors que la plupart des études, y compris les siennes, prévoient un ralentissement.

L’incertain retour à l’équilibre budgétaire

Le budget 2023-2024 prévoit un retour à l’équilibre budgétaire en 2026-2027. Ce scénario comporte une croissance moyenne annuelle des dépenses de programmes de 3 %. Compte tenu des facteurs de déséquilibre mentionnés précédemment, il s’agit d’un scénario qui ne pourra se réaliser que si le gouvernement choisit de ne pas entreprendre les réformes qui apparaissent nécessaires et de ne pas mettre en œuvre les politiques permettant de combler les besoins croissants de l’économie et de la population dans un contexte environnemental de plus en plus changeant.

Les dépenses nouvelles pourront en partie être financées par la dette, mais pas toutes, et leur corollaire inévitable, la hausse du service de la dette, pourrait lui-même devenir source de déséquilibre budgétaire. On devra aussi recourir à une augmentation des taxes et impôts ; mais trop forte, elle pourrait handicaper la croissance dont l’État aura grandement besoin.

La perspective du retour aux déficits budgétaires semble de plus en plus probable, voire inévitable. Peut-être faudra-t-il envisager, pour éviter des écarts trop importants, d’utiliser les sommes prévues au Fonds des générations pour financer les coûts de la transition écologique. Après tout, la recherche de l’équité intergénérationnelle se situe aussi de ce côté, elle ne concerne pas que la dette.

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