Il y a parmi ces arbres qui brûlent dans le Nord des espèces dont la biologie illustre bien cette part d’ange et de démon qui sommeille dans le feu. Dans la forêt boréale, certaines essences ont évolué pour mettre les flammes au service de leur reproduction. Cette adaptation a été bien documentée chez le pin gris par les écologistes. Ici, la chaleur du brasier fait fondre la cire qui scelle les cônes, ce qui libère les graines et favorise leur germination.

Pierre Drapeau, spécialiste en écologie de la conservation au département des sciences biologiques de l’UQAM, a élargi mes connaissances sur le sujet lors d’une rencontre radiophonique.

Après le passage des flammes, la fumée et les odeurs provenant du bois brûlé alertent aussi de nombreux coléoptères, des bestioles qui viendront pondre leurs œufs dans les arbres touchés.

Désormais dépourvus de défenses chimiques pour se protéger, ils sont à la merci des insectes foreurs qui transformeront leur bois en pitance pour leurs larves en devenir. Le débarquement massif de bestioles attire à son tour une certaine faune aviaire insectivore. Pierre Drapeau donne ici l’exemple du pic à dos noir.

Les années suivant le passage d’un feu, dit-il, sont très bonnes pour la reproduction de cet oiseau, mais aussi pour la régénération de la forêt. En cause, si le feu a bien consumé la matière organique qu’il y a au sol, la partie minérale devient une manne au service de la germination des graines de pin gris, mais aussi de l’épinette noire. Une dizaine d’années plus tard, une jeune forêt poussera tranquillement sur les traces de l’incendie, des plantes qui espéreront atteindre la maturité avant de revoir la couleur des flammes. En effet, lorsque deux épisodes de feu se succèdent dans un intervalle de temps très court sur les mêmes lieux, la forêt est malheureusement dévorée avant que les jeunes arbres n’aient eu le temps d’atteindre l’âge de porter des graines.

PHOTO SERGE PAYETTE, UNIVERSITÉ LAVAL, ARCHIVES LA PRESSE

Forêt de pins gris, 15 ans après le passage du feu

Malgré ces temps anxiogènes et épouvantables que nous traversons à cause des incendies, voilà une autre facette de la cohabitation entre le feu et la forêt. Il n’y a d’ailleurs pas que le pin gris qui profite de son passage. Depuis des années, les spécialistes de la gestion des incendies de Parcs Canada procèdent à des brûlages intentionnels et contrôlés de forêts pour modifier leur biodiversité végétale. Cette pyromanie scientifique se joue dans le parc de la Mauricie depuis le début des années 1990. Ici, les spécialistes armés de torches mettent le feu dans de très vieilles forêts pour donner une chance aux jeunes pins blancs et chênes rouges d’y trouver une place ensoleillée propice à leur développement.

Après le passage des incendiaires, les pins et les chênes matures, qui sont plus résistants aux flammes, encaissent le coup pendant que certains de leurs concurrents tirent leur révérence. Ce traitement donne la chance aux jeunes plantules de chêne et de pins de voir la lumière. Des années plus tard, le changement dans la composition en espèces ligneuses induite par le brûlage contrôlé est bien perceptible. De jeunes pins blancs et chêne rouges s’y enracinent et prennent de la hauteur en remerciant les flammes pour leur coup de pouce.

Le feu est un agent naturel de régénération et la diversification forestière. Malheureusement, dans la forêt boréale désormais très habitée, son passage traditionnellement bénéfique à la végétation est devenu porteur de drames pour les populations, surtout en ces temps où les bouleversements climatiques déroulent le tapis rouge à toutes les flammes du monde. Il est désormais synonyme d’incendies très destructeurs avec leurs lots de souffrances et de pertes matérielles.

À la fois ange et démon, dans l’imaginaire humain, le feu symbolise aussi le cycle de la vie. Quand il n’y en a plus, c’est la mort. Quand on meurt, on s’éteint. Or, on devient feu. Ce doit être pour ça qu’on allume un lampion.

À l’image de son rôle dans la perpétuation du pin gris, dans la langue française, il est aussi associé à notre reproduction. Ainsi, déclarer sa flamme, c’est exprimer ses sentiments à l’autre qui fait battre notre cœur. L’expression serait née d’une pratique européenne très ancienne. Une coutume qui voulait que le prétendant se présente dans la famille de la belle avec des tisons bien ardents. Si, après les pourparlers, le feu était éteint, l’éconduit devait plier bagage et aller voir ailleurs. A contrario, si les braises étaient nourries et attisées par la famille de la convoitée, sérénades et parades prénuptiales pouvaient commencer. C’était le début des feux de l’amour, ces passions brûlantes qui peuvent naître d’une simple étincelle dans les yeux. Le feu et la chaleur sont tellement jumelés à notre sexualité qu’on voit dans nos sociétés des allumeuses, des bombes sexuelles et des pétards.

Comme l’humain, le feu a besoin d’oxygène. Comme l’humain, il danse. Comme l’humain, il tue. Comme l’humain, il se nourrit. Comme l’humain, le feu meurt et engendre des cendres qui sont du fertilisant pour de nouvelles existences. Telle est aussi sa part dans la perpétuation du pin gris dans la forêt boréale. Du moins lorsque les épisodes embrasés ne se suivent pas à un rythme fou. Comme c’est le cas en ces temps de changements climatiques avec leur lot de drames humains et de massacres dans la biodiversité.