Pour les yeux

Personne n’a à me convaincre des attraits uniques de Miami. Pas pour y vivre – c’est une expérience que je ne souhaite pas refaire. Mais pour une escapade, surtout en période de grand froid ici, la ville demeure une destination de choix. La récente arrivée du grand Lionel Messi, au sein de l’équipe de soccer, rend Miami encore plus fébrile et y a ajouté des kilowatts, elle qui me semblait pourtant déjà suffisamment survoltée.

La rentrée scolaire en Floride est houleuse cette année. Un SMS de ma cousine – qui y vit – le résume parfaitement. « Bonjour. Je voulais te partager comment les décisions de DeSantis et des membres de son Conseil affectent les enfants. Emma s’en sort bien malgré tout. Le cours avancé en psychologie qu’elle suivra ce trimestre est maintenant interdit dans les écoles publiques. » Emma a 15 ans et étudie dans une école privée du district de Broward. À la suite de la décision du gouverneur Ron DeSantis, les parents d’Emma et ceux des autres élèves de l’école ont reçu ce message de la direction : « … nous continuerons à cultiver une passion pour le savoir et à donner aux élèves les moyens d’adopter l’apprentissage expérientiel, le leadership, la diversité et l’inclusion tout en les inspirant à être des citoyens du monde responsables et engagés ». C’est justement ce qui semble déranger le gouverneur et ses acolytes.

Le cours de psycho d’Emma a bonne compagnie. Il se retrouve sur le banc des accusés avec notamment des cours avancés sur l’histoire afro-américaine, le livre La servante écarlate de Margaret Atwood, celui de la biographie du grand joueur de baseball et membre du Temple de la renommée Hank Aaron et plus de 170 autres titres.

À la croisade contre l’éducation, entreprise par celui qui est aussi candidat à la présidence des États-Unis, il faut ajouter la loi « Don’t Say Gay », qui restreint l’enseignement sur l’identité de genre et sur la sexualité dans les écoles primaires.

Consultez la liste des livres bannis en Floride

Pour les oreilles

Déjà News est une excellente balado animée par Rachel Maddow, la journaliste-vedette du réseau MSNBC. Elle réexamine un évènement politico-historique du passé et le compare à un évènement du présent. C’est un exercice intéressant et efficace. Déjà News nous rappelle des faits peut-être oubliés, et aussi que trop souvent, plus ça change, plus c’est pareil. Mais avec le bénéfice du recul et avec l’expérience du passé, peut-être aurons-nous des solutions aux problèmes d’aujourd’hui.

Écoutez la balado Déjà News

Un des six épisodes de la série s’intitule : « Hello America, this is Addis Ababa. » Rachel Maddow nous transporte en 1935, alors que l’Italie menaçait d’envahir l’Éthiopie – une mission malheureusement réussie. Évidemment, le parallèle qui est fait est celui de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Les similarités entre les deux conflits sont nombreuses et surprenantes.

« Florida’s first war on woke » est le titre d’un autre épisode, le deuxième de la série. Charley Johns, gouverneur de la Floride dans les années 1950, avait, à son tour et avec un comité qu’il avait mis en place, entrepris une croisade contre le cursus des universités. Notamment, en s’attaquant à L’Attrape-cœurs de J. D. Salinger : un livre qui a marqué mon adolescence et celle de millions d’autres lecteurs. Déjà-vu.

Johns et compagnie ont aussi ciblé des professeurs présumément communistes, des enseignants homosexuels et, s’opposant farouchement à la déségrégation des écoles àa la suite de la décision de la Cour suprême, les législateurs avaient aussi les militants des droits civiques dans leur ligne de mire.

Pour la raison

Aujourd’hui, qu’y a-t-il de différent ? Entre autres, les entreprises comprennent mieux leur responsabilité sociale et leur influence. Elles savent aussi que les attentes des consommateurs ont changé. Majoritairement, ces derniers souhaitent que les PDG soient le visage du changement social et qu’ils se prononcent sur les enjeux. Chaque année, les chiffres du baromètre de confiance d’Edelman le confirment.

Disney l’a bien compris et poussé par ses employés, le royaume de Mickey Mouse a pris position contre DeSantis, mettant fin, par exemple, à un développement de 1 milliard de dollars en Floride.

Plus tôt ce mois-ci, CNN rapportait qu’au moins une douzaine d’organisations avaient annoncé leur intention d’annuler ou de déplacer leurs prochaines conférences prévues en Floride, amputant l’État de milliers de participants et de millions de dollars.

Tout cela rappelle 2021, lorsque le gouverneur républicain de la Géorgie, Brian Kemp, avait signé un projet de loi restreignant le droit de vote à des membres de groupes souvent défavorisés, la Ligue majeure de baseball a déplacé le match des étoiles d’Atlanta à Denver, privant l’État de millions de dollars de revenus.

Chaque année, 15 franchises de la ligue s’installent en Floride pour leur camp d’entraînement. En 2018, il était estimé qu’en six semaines de camp, la MLB injectait plus de 687 millions de dollars américains en Floride.

Les ligues de sports sont parmi les organisations les plus influentes au monde et plusieurs athlètes ont le pouvoir de faire bouger les choses. N’est-il pas temps que la Ligue majeure de baseball songe à faire ses camps d’entraînement présaison ailleurs ? C’est la question que posait le professeur Kevin Blackistone, plus tôt cette année. Et les autres ligues ? Devraient-elles continuer de jouer en Floride ?

Lisez le texte d’opinion de Kevin Blackistone, dans le Washington Post (en anglais)

Et moi, alors ? Tout juste de retour de quelques jours à Miami, je ne peux pas avoir des attentes d’entreprises et de leur PDG, sans revoir mes propres habitudes et préférences. Sans avoir l’influence (ni le budget !) de ligues de sports ou de Disney, devrais-je continuer à me rendre dans cet État si discriminatoire et hostile au savoir, à la vérité ?

C’est une réflexion qui sera plus difficile à faire de manière réfléchie en plein mois de janvier, mais tant et aussi longtemps que Ron DeSantis sera gouverneur de la Floride, elle aura sa raison d’être.

Je n’ai pas encore rayé Miami de mes futurs plans de voyage, mais j’y songe.