Ainsi, la Banque du Canada a encore relevé son taux directeur la semaine dernière.

En temps normal, voilà le genre de phrase que le professeur de littérature que je suis ne se sent pas autorisé à écrire en ouverture de chronique. Je ne connais pas grand-chose à l’économie, mis à part ce qu’on nous raconte dans les journaux, et je m’en remets généralement à l’avis des experts.

Mais si vous lisez encore ce texte, c’est que vous êtes comme moi : ces affaires de taux d’intérêt et d’inflation commencent à vous atteindre.

Je me suis rendu compte récemment que tous les amis que je croise me parlent de la même chose : du coût de la vie.

Un ami m’a raconté que les intérêts sur un duplex acheté en 2020 dans un quartier central de Montréal ont triplé depuis un an, à plus de 3000 $ par mois (son conseiller lui avait recommandé le taux variable…). Un autre m’a avoué que la hausse des taux l’obligeait à faire une croix sur son rêve de devenir propriétaire. « Même avec 50 000 $ de mise de fonds, ma blonde et moi, on ne peut rien se permettre. » Une amie me raconte qu’elle ne voit plus la couleur de son salaire depuis un an : avec des ados en pleine croissance et qui ont toujours faim, une partie toujours plus importante de son revenu passe dans l’épicerie, dont les coûts explosent – un nouveau rapport publié mardi le confirme1. Un autre ami, enfin, constate qu’il s’est appauvri depuis deux ans. « La hausse de mon salaire n’a pas suivi l’inflation. » Bien sûr, il a profité des aides gouvernementales, qui auraient compensé la baisse du pouvoir d’achat⁠2, mais il sait bien – car c’est un malin – que ces aides ne sont pas éternelles.

J’avoue que je ne sais plus trop quoi répondre à tout ce beau monde. Parce que quand j’écoute les experts, j’en perds mon latin. Les autorités monétaires nous expliquent que les hausses de taux visent à restreindre l’accès au crédit, ce qui aura pour effet de réduire l’inflation. Mais en attendant qu’on ressente les effets de ces hausses de taux sur la hausse des prix, la réalité est que nous payons plus cher deux fois : nous payons pour l’inflation des biens et services, en particulier pour les aliments, dont les prix ne redescendront peut-être jamais ; et nous payons des taux d’intérêt plus élevés sur l’ensemble de nos emprunts – hypothèques, prêts auto, etc. Bref, nous payons plus, en attendant de payer moins…

Et quand j’entends les explications des économistes, qui rappellent qu’il faut être patients avec les hausses de taux d’intérêt, dont les effets ne se font généralement pas sentir avant 12 ou 18 mois, je me dis que les banques centrales elles-mêmes ne semblent pas très patientes. Car l’inflation a beau baisser de manière significative (aux États-Unis, elle est passée sur un an de 9,1 % à 3,1 % ; au Canada, elle suit une évolution semblable, se situant maintenant à 2,8 %), les banques maintiennent leur politique restrictive, et annoncent même des tours de vis supplémentaires. Au point où certains spécialistes se demandent si les autorités n’en font pas trop. Tenez, il y a quelques jours, l’économiste en chef de la CIBC, dans un rapport rendu public (vous voyez le genre de lectures estivales auxquelles j’ai droit ?), écrivait ceci : « L’histoire pourrait montrer que la récente hausse de taux de la Banque du Canada (et toute hausse supplémentaire) était, dans le meilleur des cas, inutile, et, dans le pire des cas, une erreur.⁠3 »

Parlant des banques, je ne sais pas si vous constatez la même chose que moi : elles se sont empressées de relever les taux d’intérêts sur les prêts, mais elles tardent à hausser les taux sur les épargnes.

Chez Desjardins, où on nous rappelle que « l’argent est au service de l’humain » (je cite l’énoncé de mission trouvé dans le dépliant de ma caisse), les hypothèques et les marges de crédit augmentent alors que le taux d’intérêt sur les épargnes à terme stagne (le taux sur mon petit CELI rachetable est bloqué à 1,1 % depuis des mois).

La question à 1 million : où s’en va tout cet argent que nous payons en plus ? On a beaucoup parlé des problèmes de la chaîne d’approvisionnement et de la guerre en Ukraine, mais pas tellement de l’appétit vorace des grandes entreprises. Or le Wall Street Journal nous apprenait la semaine dernière que depuis trois ans les grandes entreprises ont tiré avantage des circonstances pour hausser leurs profits, phénomène qualifié de « greedflation » (ou d’inflation-cupidité) : « [Elles] se sont servi de leur pouvoir pour augmenter les prix à des niveaux qui dépassent largement les coûts ; les circonstances de 2021 et 2022 ont créé un paradis pour les vendeurs, qui sont passés à la caisse.4 »

Impossible de ne pas penser à ces hauts dirigeants dont les bonis ont été revus à la hausse au cours des dernières années, alors que les consommateurs devaient se serrer la ceinture, en courant après les rares aubaines. Ainsi de Metro, « mon épicier » (dixit la publicité), dont le PDG Éric La Flèche a vu sa prime bondir de 15 % l’an dernier. Quand je passe à la caisse et présente ma carte « Moi », question d’accumuler quelques points, j’ai la désagréable impression que ce n’est pas à « moi » que la transaction profite, mais à quelqu’un d’autre…

1. Lisez « L’inflation recule à 2,8 %, mais reste élevée à 9,1 % en épicerie » 2. Lisez la chronique de Francis Vailles : « Surprise, votre pouvoir d’achat augmente ! »

3. Je cite Andrew Grantham : « History could show that the recent Bank of Canada rate hike (and any subsequent moves) was at best unnecessary, and at worst a mistake. »

3. Lisez « The week ahead : are rate hikes really not working ? » (en anglais) 4. Lisez « As Greedflation Starts to Fade, Wageflation Creeps In » (en anglais)