C’est le temps des vacances, mais les enjeux sociaux, eux, ne prennent pas de répit. Profitons-en pour saluer les personnes qui consacrent leur vie à les combattre.

Alors que les filtres numériques font dorénavant partie de notre quotidien, il est bon de se rappeler que la véritable beauté est intrinsèque : elle réside dans la réalité et n’a pas besoin de retouches. Et s’ils donnent une apparence de perfection aux images et permettent de masquer certains défauts, les filtres ne pourront jamais créer de toutes pièces ces éléments essentiels à la beauté que sont l’authenticité et la sincérité.

C’est le temps de l’année où je me rends sur le terrain, à la rencontre d’organismes communautaires situés aux quatre coins du Grand Montréal. Je suis en mode écoute et apprentissage devant leur expertise et leur engagement.

Ce sont de beaux moments inspirants. Les leaders du secteur communautaire me présentent leurs enjeux et leur perspective. Ils me décrivent leur réalité et me permettent d’avoir un aperçu de leur quotidien.

Jusqu’à présent, ma tournée comprend des organismes travaillant auprès des familles, des aînés ou des personnes en situation d’itinérance.

Ces organismes rencontrés partagent plusieurs défis, à commencer par la fatigue ressentie par leurs dirigeants et leurs intervenants. Les trois dernières années n’ont permis aucun répit.

Pourtant, je ne vois que des sourires lors de mes visites. Je pense que cela témoigne de la pertinence et de la résilience de ces organismes. Celles et ceux qui y travaillent se sentent utiles, tandis que d’autres trouvent le soutien dont ils ont besoin, que ce soit pour gérer un quotidien complexe, faire de nouveaux apprentissages, se créer un réseau ou encore juste pour chiller.

Le premier souhait que les organismes expriment, c’est de pouvoir poursuivre leur mission sans s’épuiser. La difficulté d’obtenir du financement à long terme est l’une des principales causes de fatigue. Une dirigeante me disait être excédée de passer ses journées aux prises avec des barrières qu’elle doit surmonter pour que son organisation puisse continuer à offrir ses services, dont, entre autres, de nombreux appels à projets et des suivis administratifs. « Nous existons depuis des décennies, et notre impact est reconnu. Pourquoi ai-je le sentiment de devoir constamment raconter la même histoire ? »

Une intervenante en travail de rue m’a parlé de « potentialiser » l’expertise de son organisme, de développer ses services à leur plein potentiel. Elle a noté au passage que, bien que sous-financé, son organisme reçoit l’attention de la France en raison de l’aspect innovateur de son approche.

D’ailleurs, je dois dire que les travailleurs de rue me fascinent. Ceux que je rencontre semblent avoir un ressort sous le pied, la démarche quasi légère, ne se laissant jamais abattre par les situations rencontrées. Je pense avoir peut-être compris une petite partie de cette attitude lorsque l’un d’eux m’a confié que la création du lien avec les jeunes de la rue était plus importante que l’intervention elle-même. Tout est basé sur le lien de confiance, et donc sur la relation humaine.

Dans certains quartiers du Grand Montréal, on craint l’augmentation de la violence armée. Les intervenants voient des trucs qu’ils n’ont jamais vus dans des quartiers que l’on dit sûrs. Pour eux, il est essentiel d’augmenter le nombre d’activités de socialisation, car les jeunes sont trop souvent isolés et désengagés de leur communauté.

Dans un autre organisme, ce sont les activités de cuisine qui jouent un peu ce rôle, mais tellement plus en même temps. Si ces activités, très courues, visent d’abord à apprendre à cuisiner, elles permettent également aux jeunes de repartir avec quelques repas pour le reste de la semaine. Mais je devrais dire permettaient, puisque ce n’est plus le cas : avec l’augmentation du nombre de participants (et de l’insécurité alimentaire), la nourriture est entièrement mangée le soir même puisque pour plusieurs participants, elle représente souvent le premier repas équilibré en deux ou trois jours. Ce n’est pas rare, d’ailleurs, de voir les plus grands quitter la cuisine afin d’aller nourrir un autre membre de la famille, et revenir ensuite terminer l’atelier… et leur repas.

La vraie bienveillance

Il me semble que l’une de mes chroniques ne serait pas complète si je ne parlais pas de logement.

Tous les organismes rencontrés m’en ont parlé. Une dirigeante a indiqué que les aînés soutenus par son organisme « n’ont plus de problème de logement, car ils ont arrêté de déménager. Peu importe l’état de salubrité de leur logement actuel, ils n’essaient même pas de trouver autre chose ». Même son de cloche en itinérance, où le manque criant de logements sociaux pousse de plus en plus de personnes à la rue.

Mais le problème, aussi grave soit-il, n’est pas ce qui va décourager les travailleuses et les travailleurs qui œuvrent au sein de nos organismes communautaires. Ils ont un travail à faire, et ils savent qu’il est essentiel.

Voir la vie sans filtre, c’est reconnaître la valeur de chaque expérience, même dans les difficultés ou les moments sombres. C’est envisager l’existence dans toute sa diversité et toute sa complexité.

Les personnes qui dirigent des organismes me parlent d’humilité et de la nécessité de s’occuper convenablement des personnes qu’ils aident, car ce sont elles qui nous montrent la vraie humanité, la vraie bienveillance.

Je laisse le mot de la fin à une dirigeante d’un organisme se consacrant aux familles : « Deux enfants, même s’ils ne partagent pas la même langue ou la même culture, sont capables de se réconforter. C’est la beauté dans sa plus simple expression. »