Avant, des gestionnaires vantaient des investissements pas toujours durables pour épater la galerie. Aujourd’hui, ils sont plus réservés, mais agissent vraiment. On passe du greenwashing au greenhushing, de l’écoblanchiment à l’écodiscrétion.

Certes, la réalité est plus nuancée, mais deux raisons principales expliquent le ralentissement apparent des placements qui considèrent les facteurs ESG – pour environnement, social et gouvernance : les attaques de la droite américaine et les exigences de transparence accrue des régulateurs.

Les critiques virulentes du wokisme et l’appui inconditionnel au pétrole des républicains ont mené à des lois qui limitent l’usage des critères ESG dans 37 États américains, contre 19 qui ont voté des législations favorables. Des entreprises craignent d’être poursuivies pour collusion si elles s’allient en faveur du climat.

À telle enseigne que Larry Fink, patron de BlackRock, le plus grand gestionnaire de fonds au monde, a renoncé au terme ESG, devenu politiquement toxique, mais sans modifier sa pratique.

Il a raison et je préfère la notion de durabilité, plus intuitive, qui évoque non seulement la volonté de vivre durablement sur notre planète, mais aussi la gestion durable de l’épargne.

La finance durable peut être une obligation morale pour certains, mais elle est aussi un froid calcul des risques posés par le réchauffement climatique et des nouvelles occasions d’investissement offertes par la décarbonation de l’économie. Ne pas en tenir compte serait trahir son devoir fiduciaire.

L’an dernier, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont précisé leurs exigences quant à l’information sur les fonds ESG, qui doit être factuelle, équilibrée et documentée. Le gendarme boursier américain enquête sur les pratiques des gestionnaires tentés d’embellir la durabilité de leur produits. L’Europe est allée plus loin avec une classification vert foncé et vert pâle.

Ces initiatives ont incité des institutions à couper court aux prétentions mal fondées. Elles expliquent, avec la correction boursière, pourquoi les actifs ESG des fonds communs et des fonds négociés en Bourse (FNB) ont reculé dans le monde l’an dernier. Mais à 2834 milliards US, ils sont presque revenus à leur sommet de 3000 milliards. Le rattrapage est complété ou presque au Canada et en Europe, mais tarde aux États-Unis.

Faut dire que Morningstar exclut de ses statistiques ESG, une référence sur le marché du détail, les fonds en nombre croissant qui utilisent ces critères dans leur choix de titres, mais sans en faire une cible explicite. Ses chiffres ne tiennent pas compte non plus des actifs institutionnels des caisses de retraite, ni des assureurs.

Une enquête récente auprès de 40 gestionnaires canadiens totalisant des actifs de 5800 milliards CAN, menée par les consultants montréalais Millani, démontre que le ressac américain a eu ici l’effet inverse : « Les investisseurs revoient leur processus d’investissement responsable et intègrent davantage la prise en compte des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance dans leurs approches fondamentales. »

Leur préoccupation première demeure les changements climatiques. Ils sont prêts à déployer du capital aux projets de transition vers le carbone net zéro, mais soulignent le besoin d’une définition claire de ces projets, dans une taxonomie reconnue.

Les questions EDI (équité, diversité et inclusion) accusent un léger recul au profit du capital humain et des droits de la personne, comprenant la réconciliation avec les peuples autochtones. La biodiversité est en forte hausse depuis la COP15, tenue à Montréal en décembre.

Enfin, Millani note un intérêt croissant pour optimiser non seulement le risque et le rendement financier, mais aussi l’impact positif des investissements sur l’environnement et la société.

D’ailleurs, Morningstar rapporte depuis le début de l’année une hausse de 21 % de l’actif des fonds d’impact au Canada, encore petits à 6,8 milliards CAN, mais plus ambitieux en matière de durabilité. L’ensemble des stratégies ESG pèsent 165 milliards, soit 14 % des fonds communs et FNB canadiens.

Au Canada, les capitaux durables logent principalement dans nos grandes caisses de retraite. Les particuliers tardent à suivre ici, alors qu’ils dominent en Europe.

La qualité des investissements durables devrait s’améliorer avec la publication en juin des deux premières normes de l’International Sustainability Standards Board (ISSB), l’une portant sur un cadre général de divulgation des informations ESG, l’autre sur le climat.

Le processus menant à leur homologation au Canada se mettra en branle prochainement avec les consultations du nouveau Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité (CCNID) et des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM).

Des informations comparables, obligatoires et auditées à travers le monde faciliteront une sélection éclairée des entreprises par les gestionnaires de portefeuille. Déjà, on observe qu’elles parlent plus sobrement de leurs réalisations en durabilité.

« Ces compagnies ne changent pas vraiment leur stratégie, elles sont seulement plus discrètes pour moins attirer l’attention », a expliqué au Globe and Mail Sarah Thompson, directrice générale de la finance durable chez RBC Marchés des capitaux.

Moins de bravades, plus d’actions réelles. La planète y gagnera au change.

* Miville Tremblay est membre bénévole du Comité d’implantation du CCNID. Il s’exprime ici à titre personnel.