Cet été, Contexte invite ses lecteurs à refaire le monde en compagnie d’un chroniqueur et d’une personnalité. Aujourd’hui, Alexandre Pratt déguste une crème glacée en compagnie d’Isabelle Deschamps Plante. La juge et ex-candidate de l’émission Les chefs ! s’apprête à reprendre les casseroles de Ricardo Larrivée à Radio-Canada. Un rôle qui vient avec une influence sur le quotidien d’un très, très grand public.

« Je ne veux pas n’être qu’une fille qui passe à la télé »

La carrière d’Isabelle Deschamps Plante est sur le point de basculer. Dans quelques semaines, elle prendra la relève de Ricardo Larrivée à la barre d’une émission culinaire de Radio-Canada, trois fois par semaine. Une tribune exceptionnelle, dont elle compte profiter pour faire une différence dans la communauté.

Comment ?

C’est ce dont nous avons convenu de discuter autour d’une crème glacée. Elle me donne rendez-vous à la crémerie Dalla Rose, dans le quartier Saint-Henri, à Montréal. « Tu vas voir, c’est vraiment bon », dit-elle, sur le ton excité d’un enfant devant un pot de jujubes. Bien qu’il ne soit pas encore midi, elle commande un gros sundae fraise-rhubarbe, que le préposé lui sert dans une barquette. « Êtes-vous la juge de l’émission Les chefs ! ? », lui demande-t-il. Elle lui sourit timidement. « Je vous ai regardée hier soir. Je vous adore ! »

Il n’est pas le seul à apprécier la cheffe de 40 ans. Après deux passages comme candidate aux Chefs !, puis deux saisons comme juge de la même émission, Isabelle Deschamps Plante est maintenant une chouchou du public québécois. Un statut qu’elle n’assume pas encore pleinement. « Je souffre un peu du sentiment de l’imposteur », confie-t-elle candidement, sans fausse modestie.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, LA PRESSE

Isabelle Deschamps Plante

Pas par rapport à la cuisine. Ce bout-là, ça va. Ça fait 24 ans que je fais ça. Je connais les techniques et les recettes. Mais comme personnalité publique, ça reste un apprentissage.

Isabelle Deschamps Plante

Elle se demande d’ailleurs pourquoi je tiens à la rencontrer dans le cadre de notre série « Refaire le monde ». « Je ne suis pas une politicienne. Je ne suis pas une chanteuse qui crie son opinion. Je fais juste des gâteaux au fromage pis des shortcakes aux fraises ! »

C’est vrai. Sauf qu’Isabelle Deschamps Plante a deux atouts dont rêvent tous les politiciens et les artistes.

D’abord, son histoire touche le public. La candidate devenue juge, puis animatrice, c’est un parcours remarquable. Tout le monde aime les succès d’un négligé. Mais surtout, Isabelle Deschamps Plante inspire la confiance. Les gens, même ceux qu’elle connaît peu ou pas, se tournent naturellement vers elle pour trouver une oreille bienveillante.

« Les gens sont vraiment chaleureux avec moi, raconte-t-elle, étonnée. Je n’en reviens juste pas. C’est fou, les messages que je reçois. Une caissière m’a dit que c’est grâce à moi qu’elle s’est inscrite en pâtisserie. C’est gratifiant, mais c’est capoté pareil. »

Entrer chez les gens

Nous traversons la rue Notre-Dame pour aller manger nos sundaes dans le square Sir-George-Étienne-Cartier. Ça fait environ un an, dit-elle, qu’elle a compris l’effet qu’elle pouvait avoir dans l’espace public. Elle est aussi consciente « en tabarouette » que sa nouvelle émission, à l’automne, pourrait bien faire exploser sa notoriété. Peu de personnalités, après tout, font partie du quotidien des gens pendant une demi-heure, trois fois par semaine.

Son patron, ami et mentor, Ricardo Larrivée, a profité de cette notoriété remarquable pour promouvoir des causes. Il a cofondé le Lab-École. Il a défendu la sauvegarde du patrimoine dans le Vieux-Chambly. Il s’est impliqué dans la Tablée des chefs. Il a aussi élargi les horizons culinaires des Québécois. « Il aurait pu se contenter de son émission de télé, mais il a décidé de redonner à la collectivité », souligne Isabelle Deschamps Plante.

« Ça t’inspire ?

— Oui, mais pas pour tout de suite. »

Sa priorité : réussir le lancement de sa nouvelle émission. Une très grosse bouchée. Après, si ça fonctionne bien, si les téléspectateurs sont au rendez-vous, oui, Isabelle Deschamps Plante a l’ambition de changer les choses, elle aussi.

« C’est le début de quelque chose qui me mènera je ne sais où. Je n’ai pas de plan devant moi. Mais je veux que ça aille au-delà de l’émission. Je ne veux pas n’être qu’une fille qui passe à la télé. »

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Isabelle Deschamps Plante et notre journaliste Alexandre Pratt

Une cheffe impliquée

Isabelle Deschamps Plante a commencé à participer à quelques causes. Au sein de la Tablée des chefs, qui nourrit les personnes dans le besoin et qui développe l’éducation culinaire chez les jeunes. Avec Moisson Québec, aussi, dont elle fut la marraine d’honneur de la grande collecte de 2017.

« Cette expérience m’a profondément marquée. Donner des denrées à des enfants et des personnes âgées si pauvres. Offrir aux gens une courge spaghetti, et se faire répondre : “Je ne peux pas la prendre parce que je ne sais pas comment la cuisiner.” S’empêcher de se nourrir parce qu’on ne sait pas comment cuisiner... Ça m’a rendue vraiment triste. »

La misère la touche. La détresse aussi. « Je ressens beaucoup les émotions des autres, dit-elle. Parfois trop. » Au début de la vingtaine, elle a obtenu un baccalauréat en enseignement au primaire. Ce fut difficile.

J’adore être avec les enfants. J’aime montrer les choses. Mais j’ai réalisé qu’être prof, c’est plus qu’un travail. C’est une vocation. C’était dur de voir les élèves en difficulté.

Isabelle Deschamps Plante

« Encore aujourd’hui, quand mes amies me racontent ce qui se passe dans les classes, je me dis que le manque de ressources aura un effet sur l’avenir de nos enfants. Ça me donnait le vertige. C’était trop lourd pour moi », ajoute-t-elle.

Une conséquence de sa grande sensibilité : on la sollicite beaucoup. Pour son écoute. Pour des conseils. Pour des projets. « Je suis une yes woman, confie-t-elle. Mes amies me disent souvent : “Isa, tu dis oui à tout.” Je le sais. Je dois apprendre à dire non. Mais c’est difficile parce qu’on ne sait pas ce qui peut se produire. Des fois, si tu fais un geste, ça peut changer la vie de quelqu’un. Ou bien encore, ça peut changer ta vie. Si je peux m’investir dans les bonnes causes, avec les bonnes personnes, je vais le faire. »

Quelles causes ?

Une lui tient particulièrement à cœur : les troubles liés à la santé mentale. Elle a vu des proches en souffrir. « C’est encore tabou, déplore-t-elle. On n’en parle pas assez. Il y a du chemin à faire. Je trouve désolant que les gens aient encore des préjugés par rapport à ça. »

Lorsqu’une personne souffre d’un problème de santé mentale, on la juge facilement. Pourtant, c’est une maladie, au même titre qu’un mal physique. Dans les prochaines années, j’aimerais profiter de ma tribune pour sensibiliser les gens.

Isabelle Deschamps Plante

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Isabelle Deschamps Plante et notre journaliste Alexandre Pratt

Cuisiner du Isabelle

Au fil de notre marche sur les rives désertes du canal de Lachine, elle avoue une autre ambition. Que les gens « cuisinent du Isabelle », comme ils cuisinent du Ricardo, du di Stasio.

Ça veut dire quoi, exactement ?

« Je veux que les gens aient hâte de faire ce que je vais cuisiner. Je vais continuer de faire des recettes rapides, efficaces, pas chères, vide-frigo. » Le secret du succès de la marque Ricardo. « Mais j’aimerais aussi démocratiser la pâtisserie. Souvent, quand on reçoit, on fait tout le repas, puis on achète le gâteau. Les gens pensent que la pâtisserie, c’est de la chimie. Mais non. Il y a plein de recettes que tu peux faire sans peser chaque ingrédient au gramme. Je veux que cette peur disparaisse. Je ne ferai pas que de la pâtisserie, mais je veux en faire une mission. »

Et pourquoi la pâtisserie ?

Parce que c’est sa spécialité. Mais aussi, dit-elle, « parce que c’est lié au plaisir. À la nostalgie. Ça vient chercher notre cœur d’enfant. C’est réconfortant ». En ces temps agités, on n’aura jamais trop de douceur ni de réconfort.

Isabelle Deschamps Plante compte aussi se servir de sa tribune pour faire la promotion des produits locaux.

« Ricardo trouve que je l’énerve avec le mélilot [rires]. À la télé, je vais montrer ce qu’on fait pousser ici. C’est important de suivre les saisons et les produits locaux. Au premier degré, parce que les produits sont vraiment meilleurs. As-tu déjà goûté une asperge du Québec et une autre du Pérou ? Ce n’est pas la même affaire ! »

Mais par-dessus tout, elle souhaite transmettre aux gens sa passion pour la cuisine.

« Si tu ne cuisines pas, tu pars avec une prise contre toi dans la vie. Cuisiner pour se nourrir, c’est bien. Cuisiner pour partager, c’est encore mieux. Chez nous, on reçoit beaucoup. Prendre le temps de s’asseoir, de manger, d’avoir du plaisir, c’est ça, nos plus beaux moments. »

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Deux sundaes fraise-rhubarbe de la crémerie Dalla Rose, dans le quartier Saint-Henri, à Montréal

Et il n’y a pas de meilleur contexte qu’un bon repas pour refaire le monde. Sauf, peut-être, autour d’un sundae fraise-rhubarbe.