Avec leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde. Cette semaine, nous donnons carte blanche à l’auteur et éditeur Stéphane Dompierre.

Je n’ai jamais été pressé d’adopter les nouvelles technologies. Toujours un peu à la traîne, je me suis procuré un téléphone intelligent le jour où j’ai perdu patience. Un ami m’avait texté pour avoir des suggestions de lecture et, après lui avoir répondu sur mon vieux Motorola Razr, en cliquant trois fois sur le 1 pour faire un C, deux fois sur 2 pour faire un E, j’ai embarqué dans la vague.

Mes débuts avec l’intelligence artificielle furent tout aussi lents. Si je connaissais Siri et Alexa, respectivement les assistants personnels intelligents d’Apple et d’Amazon, j’hésitais à découvrir de quoi ils étaient capables. Ça a commencé par « Alexa, dis-moi la blague du jour », sans que je sois renversé par ce grand bouleversement technologique. Surtout que ses blagues étaient plates.

Il y a quelques années, ces assistants semblaient aussi avoir des problèmes de surdité : demander à Siri d’« appeler Manon Salvail » risquait de finir en « D’accord. J’appelle votre patron pour lui dire que vous quittez votre travail ». Éternuer près de mon iPhone suffisait pour qu’il me commande 5000 scies rondes chez Rona.

Mais ces outils s’améliorent sans cesse, et je découvre tranquillement leurs possibilités. Ces temps-ci, il n’y a pas grand-chose qui me satisfait plus que de demander à Siri, pendant que je confectionne des dumplings, de démarrer un décompte pour un truc qui cuit au four. Je ne gagne que quelques secondes, le temps de me laver les mains et de démarrer la minuterie du four, mais j’adore que mon téléphone effectue des tâches à ma place. Je me sens dans le futur. Bon, pas le futur fonte des glaciers, brouillard toxique et forêts en feu, là. Disons plutôt le futur que j’imaginais, enfant : les montres avec visioconférences (c’est fait) et les voitures volantes (sur ce dossier, on traîne un peu la patte). Plutôt que d’ouvrir la porte du sous-sol et de hurler à l’ado qu’il est l’heure du souper, hop, je me salis les mains sous un prétexte quelconque (touiller la salade à mains nues, disons) et je demande à Siri de la texter.

Sauf que je n’ai pas si souvent les mains sales.

Mais avec l’arrivée de ChatGPT, de Gemini et d’une foule de concurrents, les capacités de l’intelligence artificielle (IA) semblent ne plus avoir de limites. Ces systèmes peuvent apprendre, écrire, dessiner, générer d’innombrables idées, nous assister dans une foule de tâches complexes. Déjà, beaucoup de personnes les utilisent au quotidien.

D’ailleurs, cette chronique est-elle écrite par l’IA ? Comment savoir ?

Je peux vous répondre : non. Elle a bel et bien été écrite par moi.

Cependant, j’ai essayé ; j’aurais adoré vous berner pour que vous puissiez admirer les prouesses de l’IA, en ne vous dévoilant qu’à la toute fin du texte qu’il n’était pas de moi. Mais ce n’est pas pour tout de suite. Il y a encore un peu de chemin à faire, on dirait.

La vitesse de l’IA est tout de même impressionnante : 10 secondes pour générer une chronique de 800 mots. Ça dépasse pas mal tout le monde, sauf peut-être Fabienne Larouche lorsqu’elle écrivait Virginie. Mais son humour laisse à désirer. J’avais demandé à ChatGPT une chronique humoristique prouvant que l’IA écrivait mieux que l’humain. Un extrait : « Tout d’abord, je fais de vraies recherches. Pas comme certains d’entre vous, qui se contentent de googler des trucs rapides et sales. » L’effort est valable, c’est délicieusement étrange, mais pas à se taper sur les cuisses, disons. Ici, on y était presque : « Je suis comme un chat (d’où mon nom), mais en mieux, parce que je ne gratte pas les meubles et je ne me lèche pas les fesses en public. » J’avoue avoir pouffé de rire. Mais ça a vite dégénéré, avec une incompréhensible histoire de poule qui traverse la rue pour aller au cybercafé et une blague très nichée (et un peu dépassée) à propos d’un Pokémon. Je souligne tout de même cette belle perle de sagesse : « Je suis toujours en train d’apprendre, de me développer, de devenir plus intelligent et plus rapide. C’est un processus constant et sans fin. De nombreuses personnes sur cette planète ont du mal à accepter qu’elles aient des choses à apprendre et peuvent s’améliorer. » Beau travail, ChatGPT.

L’intelligence artificielle évolue beaucoup plus vite que l’humain (surtout plus vite que ton oncle qui fait encore des blagues de Newfies), alors je continue d’expérimenter et vous tiendrai au courant de mes progrès. Ou de ses progrès. Et si l’IA réussit à me remplacer comme éditeur, auteur et chroniqueur, c’est peut-être elle qui vous le racontera ici, avec quelques blagues étranges à propos de poules et de Pokémon.

Qui est Stéphane Dompierre ?

  • Stéphane Dompierre est écrivain, éditeur et chroniqueur.
  • Il a signé plus d’une demi-douzaine de romans, dont Novice, en 2022, ainsi que les recueils de chroniques Fâché noir et Marcher sur un Lego.
  • Il est directeur de la collection La Shop chez Québec Amérique.
Qu’en pensez-vous ? Exprimez votre opinion