Vous savez, chers lecteurs, voir son enfant souffrir ne devrait être déposé sur aucun cœur de parent.

Aucun.

Comprendre que son enfant sera handicapé pour toujours, c’est se sentir parfois comme parent dans une camisole de force tissée de larmes qu’aucun médicament ne peut faire éclater. Oui, il y a des moments magiques et de petites victoires – nous les aimons tellement, nos enfants –, mais c’est souvent, selon le degré de handicap de l’enfant, très difficile.

Et le moment le plus brise-cœur, pour les proches aidants ou les parents d’enfants handicapés devenus adultes, est souvent le placement. Le placement, ce mot qui dégouline de culpabilité et de honte. Malheureusement, pour ma part, après près de 20 ans de changements de couches, de désorganisations et de montagnes russes avec mon magnifique garçon si beau que j’aime tant, j’ai dû me résigner à l’installer dans une maison de répit à assistance continue, car je n’arrivais plus à payer les multiples gardiennes qui partaient les unes après les autres et le stress était rendu tout simplement trop grand. Et le répit offert était inexistant.

PHOTO FOURNIE PAR L’AUTEURE

Loïc, fils de l’autrice

L’analogie que je pourrais faire pour expliquer une vie de mère seule avec un enfant autiste non verbal qui a de plus une importante déficience est que cette vie s’apparente à faire une plongée en haute mer avec un Speedo et des tongs comme palmes. Lorsqu’on avale de l’eau en nageant, au départ c’est supportable, mais si on te pousse la tête sous l’eau pendant 19 ans tous les jours, tes poumons finissent par ne plus être aptes à te soutenir et la nage se transforme en cauchemar.

J’ai terminé l’aventure du temps plein avec mon garçon en crachant de l’eau et en essayant de reprendre mon souffle.

Pour faire ça court, c’était ma vie contre la sienne à temps plein. Et égoïstement et aussi intelligemment, je me suis choisie.

J’ai choisi de rester vivante.

Vivante pour m’en occuper, vivante pour le protéger, vivante pour lui. Et privilégier de le voir et de m’en occuper lors de fins de semaine, et surtout le voir et m’en occuper en forme et en santé. Solide comme le roc, comme au début de cette aventure parentale. Solide et bienveillante. Solide et protectrice. Nous avions trouvé un équilibre dans ce périple.

Voies de fait

Malheureusement, et ce, de façon horrible, chers lecteurs, une nouvelle a brisé ce bel équilibre enfin trouvé. Mon garçon aurait été victime de voies de fait à sa résidence1.

Imaginez ma peine et mon désarroi lorsque l’on m’a appris que des intervenants à sa résidence auraient frappé mon garçon. On ne parle pas de désorganisation entre clients de la résidence, on parle de voies de fait de la part de deux intervenants engagés pour s’occuper des adultes handicapés avec déficience intellectuelle de cette résidence. Non seulement mon garçon aurait été frappé, mais d’autres résidants auraient également été frappés.

Éventuellement, nous saurons si ces accusations sont fondées ou pas, mais je crains le verdict. Depuis que l’on m’a informée des accusations reliées à ce dossier, qui est, je tiens à le souligner, judiciarisé et surtout public, je me bats avec le gouvernement pour faire installer des caméras pour surveiller les aires communes de ces résidences.

Des caméras pour éviter d’autres drames, pour protéger ces éternels enfants, et des caméras qui pourraient aussi protéger les intervenants. Des images que je voudrais non accessibles aux parents, mais accessibles de façon ponctuelle aux dirigeants qui devraient être là pour s’assurer du bien-être des résidants et aussi des employés. Employés qui sont souvent dévoués. D’ailleurs, la grande majorité des employés sont dévoués et bienveillants. Alors, je me suis naïvement dit que cela serait simple à installer… erreur de débutante.

C’est une vraie bataille.

Pourtant, la Loi sur la maltraitance a proposé des caméras pour les CHSLD. À mon grand étonnement, j’ai compris après de multiples appels, rencontres et courriels que les adultes sans défense comme mon fils ont été oubliés concernant la pose de caméras.

Oui, oubliés. Il y aura des caméras de surveillance dans les CHSLD, mais pas dans les résidences à assistance continue. Donc, je dois me battre pour faire accepter cet ajout à la Loi sur la maltraitance pour la résidence de mon garçon.

Depuis un an, on m’explique que c’est peut-être une bonne idée, même que certains hauts dirigeants seraient pour, mais les dédales administratifs, et bla, bla, bla… et au passage on me souligne qu’il y aurait une probable réticence des syndicats face aux caméras.

Ah bon ? Si je comprends bien, comme société nous acceptons d’être filmés lorsque nous sommes sur la route, dans quasi tous les commerces que nous fréquentons, idem pour les restos, cinémas, salles de spectacle, etc. ; mais cela serait un crime de lèse-majesté d’en installer dans ces résidences ?

On juge que c’est important de filmer le comptoir des viandes chez Walmart pour éviter des vols, mais on pense que c’est très compliqué d’installer des caméras pour porter un regard bienveillant sur des adultes sans défense ? Des adultes avec déficiences et, de surcroît, qui ne peuvent s’exprimer verbalement !

Nous sommes où, là ?

Un an de cauchemars

Vous me direz que changer des lois, c’est compliqué, je vous l’accorde. Mais ma bataille dure, je vous le rappelle, depuis presque un an et j’attends toujours une réponse positive du CIUSSS et du gouvernement. Un an où l’anxiété s’est installée en permanence dans tous mes rêves et toutes mes pensées. Un an de cauchemars.

Nous attendons quoi exactement pour agir ? Que d’autres enfants ou adultes soient encore frappés ? Parce que mon garçon a beau avoir 26 ans, son toutou préféré est Dumbo et, preuve de sa déficience intellectuelle, il écoute encore amoureusement depuis un quart de siècle les Télétubbies en tapant des mains et en riant comme un enfant.

C’est tout simplement un bébé dans un corps de grand.

Il est totalement et complètement à la merci des personnes qui s’occupent de lui. De plus, il ne dit que 50 mots, et est-ce que j’ai vraiment besoin d’ajouter qu’il n’a AUCUN moyen de se défendre, aucun ?

Donc, message à M. Carmant et à M. Dubé : pouvez-vous accélérer les démarches pour l’installation de ces caméras, c’est plus qu’urgent ?

Et, comme fière Québécoise, sachez que je sais pertinemment que ma société trouverait plus normal, urgent et adéquat que l’on s’occupe de l’intégrité physique des adultes et enfants vulnérables que de surveiller un steak chez Walmart.

La bienveillance devrait être la première préoccupation de ces messieurs et de notre gouvernement. Bienveillance. Bonté !

Nous ne pouvons plus fermer les yeux, car ces éternels enfants ont besoin de nous et de notre protection. Ils sont sans voix. Et il est temps de faire rapidement entendre la nôtre !

1. Lisez l’article du Journal de Montréal : « Résidence pour personnes autistes : deux employés accusés de voies de fait » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion