Cette semaine, la Dre Silvana Barone, directrice médicale du Phare Enfants et Familles, qui a été la première résidence de soins palliatifs pour enfants du Québec, répond à nos questions sur le leadership.

Vous avez toujours voulu travailler avec les enfants. Pourquoi avez-vous choisi les soins palliatifs ?

En médecine, la formation traditionnelle est encore beaucoup axée sur l’investigation des symptômes, la pose du diagnostic et le traitement de la maladie. On est très bons pour « trouver et soigner le bobo ». Mais quoi faire quand « le bobo » est une maladie à issue fatale ? Ou une maladie chronique complexe avec une trajectoire difficile et imprévisible ? Le dernier stage de ma résidence en pédiatrie était en soins palliatifs pédiatriques. J’étais impressionnée par l’approche humaine et bienveillante des intervenants et par leur travail d’équipe. Pendant ma résidence, j’avais déjà été exposée à des cas complexes, mais en soins palliatifs, je voyais une approche où l’on cherchait à traiter non seulement la maladie, mais la personne dans sa globalité. On élaborait des plans de traitement visant à soulager les symptômes, mais également la souffrance physique, psychologique ou spirituelle dans le but d’améliorer le quotidien de l’enfant.

Quelle est la différence entre les soins palliatifs pour adultes et ceux pour les enfants ?

La plupart des gens croient que ces soins sont réservés à des enfants en fin de vie, et cette idée est encore très présente chez certains professionnels de la santé. Chez les adultes, c’est le cas, les soins palliatifs sont souvent introduits tard dans la trajectoire de la maladie – quelques semaines ou quelques mois avant la fin de la vie. En pédiatrie, par contre, les intervenants en soins palliatifs développent des relations thérapeutiques souvent sur le long terme avec les enfants et leurs familles. Les enfants peuvent être atteints d’une variété de conditions qui mènent à une espérance de vie limitée, incluant des maladies génétiques rares. Il y a aussi des enfants qui ont survécu à une maladie grâce aux avancées scientifiques et à la technologie médicale. Or, ces enfants en sont dépendants pour l’alimentation et la respiration. Nous accompagnons également les enfants avec certaines conditions médicales complexes qui peuvent vivre pendant plusieurs années avec leur maladie et même survivre jusqu’à l’âge adulte.

Vous avez mis en place des façons de faire innovantes. À première vue, elles semblent aller de soi, mais elles n’étaient pas présentes il y a quelques années. Je pense au choix des mots et aux phrases que vous prenez soin de ne pas utiliser, comme « il n’y a plus rien à faire » ou « on va transférer votre enfant ».

Pendant ma formation spécialisée aux États-Unis à l’Université Johns Hopkins, j’ai participé au développement et à l’implantation d’un programme de formation en communication pour les professionnels de la santé qui soignent des enfants avec des maladies chroniques complexes. Au Phare, je tente de transmettre ces connaissances et compétences aux membres des équipes de soins.

L’outil le plus important que nous avons à notre disposition en soins palliatifs est une bonne communication. Nous sommes très attentionnés au choix des mots et au langage que nous utilisons dans nos discussions avec les familles. La communication doit être honnête et transparente tout en étant bienveillante.

Les mots que nous employons sont importants, mais la communication est beaucoup plus que les mots. Elle est dans nos gestes, dans les silences qui permettent l’expression des émotions et dans le langage du corps.

La majorité de nos enfants viennent des grands hôpitaux pédiatriques et sont souvent suivis par plusieurs spécialistes. Nous avons maintenant des rencontres régulières avec leurs équipes pour éviter un dédoublement inefficace des efforts. Grâce à cette collaboration, les familles font plus confiance aux membres des équipes, elles ont une plus grande facilité à joindre le bon intervenant au bon moment, et les transferts des patients de part et d’autre sont plus fluides.

Vous dites que vous ne travaillez pas pour la mort, mais bien pour la vie. D’où vient cette philosophie ?

Je pense que la réflexion repose surtout sur l’importance de se questionner sur les objectifs des soins qu’on prodigue comme professionnel de la santé et de s’assurer que ces objectifs soient alignés avec les valeurs et les souhaits de l’enfant malade et de ses parents. Est-ce que l’objectif est de prolonger la vie à tout prix, même si cette prolongation s’accompagne de souffrance significative ? Ou ne pourrait-on pas mettre l’accent sur l’amélioration du quotidien et la création des moments de joie et d’amour en dépit de la maladie que nous ne pouvons pas guérir ? On cherche à soulager la douleur avec nos traitements, mais aussi à apporter un peu de lumière dans le quotidien des enfants et des familles pour percer les cieux gris. C’est la raison pour laquelle au Phare, on parle toujours de « s’amuser jusqu’au bout de la vie ». Tout enfant devrait avoir le droit d’être un enfant malgré sa maladie.