Avec la sortie prochaine du film Barbie, la poupée blonde connaît une surprenante rédemption. Le jouet controversé, archétype de la « bimbo », serait-il soudainement devenu une icône féministe ?

« Bimbo » ou féministe ?

Depuis l’annonce de sa sortie, le film Barbie suscite un grand enthousiasme sur les réseaux sociaux et soulève la question de l’heure : Barbie était-elle tout ce temps féministe ?

Ça doit être le film le plus attendu de l’été. Réalisé par Greta Gerwig, Barbie arrivera en salle ce vendredi avec Margot Robbie (Babylon, Suicide Squad, I, Tonya) dans le rôle de la poupée la plus célèbre du monde.

La bande-annonce de la production de 145 millions de dollars met la table à une ambitieuse comédie entre l’hommage et la satire. Lorsqu’elle est expulsée de son monde parfait, Barbie, accompagnée de Ken (Ryan Gosling), s’aventure dans le vrai monde en quête de la vérité sur la nature humaine, rien de moins. « Ça vous arrive de penser à la mort ? », lance-t-elle tout bonnement à ses pairs au milieu d’un numéro de danse.

Pour les internautes qui connaissent bien le génie de Greta Gerwig (Little Women, Ladybird), il n’en fallait pas plus pour qualifier l’œuvre d’épopée féministe moderne avant même de l’avoir vue.

Dans le regard de Greta Gerwig, Barbie ne peut qu’être transformée en icône féministe.

Martine Delvaux, essayiste et professeure de littérature à l’Université du Québec à Montréal

Il faut dire que le film n’a pas toujours été aussi prometteur. Le projet était dans les cartons de Sony Pictures depuis des années avant que ses droits soient transférés en 2018 à Warner Bros. Pictures, qui a confié la réalisation à la cinéaste de 39 ans.

Lors d’une récente entrevue, l’actrice Amy Schumer – à qui le rôle-titre avait initialement été offert – a confié avoir quitté la production parce que le scénario n’était pas assez « féministe et cool ». Dans l’une de ses premières versions, Barbie était une inventrice qui fabriquait des talons hauts en Jell-O…

Mais c’était aussi une autre époque. Avant l’emprisonnement du producteur Harvey Weinstein, avant l’onde de choc #metoo. Dans les dernières années, l’industrie du cinéma a laissé une plus grande place à des voix féminines fortes, dont celle de Greta Gerwig, justement. Si on se fie au reste de son œuvre, Barbie posera un regard complexe et nuancé sur les tribulations de la féminité, seulement enrobé dans un emballage fuchsia.

« Greta Gerwig est une grande réalisatrice, qui aime revisiter des classiques. Barbie, c’est vraiment du bonbon », souligne Martine Delvaux.

Des controverses

Une source inestimable de matériel, aussi. On l’a aimée, détestée, aimée à nouveau. Barbie est clivante. Depuis le début, d’ailleurs.

C’est Ruth Handler, femme du cofondateur de l’entreprise de jouets Mattel, qui a eu l’idée de mettre sur le marché une poupée à l’apparence adulte, en 1959. À l’époque, les jeunes filles jouaient surtout avec des bébés. « Ça participait à la domestication des petites filles. On leur apprenait d’abord à être des mères. Barbie avait du potentiel », souligne Mme Delvaux.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Martine Delvaux, essayiste et professeure de littérature à l’Université du Québec à Montréal

Elle avait des proportions douteuses, mais elle possédait une maison avant même que les femmes soient autorisées à ouvrir un compte en banque et pratiquait toutes sortes de métiers, ont fait remarquer certains.

Pour autant, Barbie était aussi la cible de vives critiques. Il y a eu cette poupée, par exemple, vendue avec un livre de régime conseillant de « ne pas manger ». Celle aussi qui répétait que les cours de maths étaient « difficiles ».

Certes, Mattel ne peut être considérée comme l’unique responsable de la dictature de la minceur et de la reproduction des stéréotypes de genre. Mais elle a certainement participé à « la production en série de cette figure ». « Le problème, c’est qu’il n’y avait que ça. Et cet imaginaire-là est comme un virus. Il a contaminé toutes les représentations », note l’auteure de l’essai Les filles en série – Des Barbies aux Pussy Riot.

PHOTO FOURNIE PAR MATTEL

La Barbie Rosa Parks

L’entreprise a fait des efforts au cours des dernières années pour diversifier l’apparence de ses jouets, notamment avec l’ajout d’une poupée atteinte de trisomie. Elle a aussi lancé une collection inspirée de femmes d’exception, dont la militante Rosa Parks et l’anthropologue Jane Goodall. « Mais si le costume change, le nez, lui, reste fin, les lèvres pulpeuses, les traits caucasiens… », remarque Martine Delvaux.

Pour moi, la Barbie de Mattel ne peut être féministe.

Martine Delvaux, essayiste et professeure de littérature à l’Université du Québec à Montréal

Une et l’autre

Alors, qu’est-ce qui a changé ? Pourquoi le jouet controversé est-il soudainement accueilli avec autant d’engouement ? Comme plusieurs de sa génération, Martine Desjardins a beaucoup aimé ses poupées Barbie. Enfant, elle a tout eu : la maison avec l’ascenseur, la décapotable, la roulotte de camping…

Oui, les standards de beauté irréalistes, oui, les stéréotypes de genre, mais pour l’avocate de 54 ans, Barbie a toujours eu un côté « frondeur », voire féministe, ose-t-on ajouter, dans sa manière d’assumer sa superficialité.

Une fille peut être intelligente et profonde et s’habiller en rose et en minijupe !

Martine Desjardins

Ce n’est certainement pas un hasard : la figure de la bimbo fait un retour fracassant depuis la pandémie. C’est l’image de la femme frivole, dotée d’une taille fine et d’une poitrine généreuse, qui aime prendre soin de son apparence. Sur les réseaux sociaux, des jeunes femmes revendiquent leur hyperféminité.

Certaines parlent de bimbo feminism, d’autres de bimbofication. Elles exhibent une féminité exagérée, souvent du registre de la parodie, dans le but de détourner les codes, de se les réapproprier. Au fond, c’est cette idée que les femmes ne sont pas unidimensionnelles.

« Le message que le film essaie de faire passer est qu’il n’y a pas de dichotomie entre le fait d’accorder de l’importance à son apparence et l’intelligence », pense Béatrice Gaudet, professeure de littérature au cégep de Saint-Laurent.

Dans une entrevue accordée au New York Times, Greta Gerwig a évoqué le symbole contradictoire que représente la poupée blonde. « Les choses peuvent être à la fois l’une et l’autre », a-t-elle déclaré.

Barbie peut être à la fois une bimbo en plastique et une icône féministe. De la même façon qu’on peut à la fois l’aimer et la critiquer. « On ne met pas à mort Barbie. On ne nous dit pas de ne pas nous en servir, conclut Martine Delvaux. On nous dit, au contraire : donnez-lui une force féministe. »

Barbie en 10 moments marquants

De son succès instantané aux nombreuses controverses, les hauts et les bas de l’histoire de Barbie.

1959

La première Barbie est présentée au salon annuel du jouet, à New York. La poupée est vêtue d’un maillot de bain zébré et coiffée d’une queue de cheval blonde ou brune. Mattel en vend 350 000 exemplaires la première année de sa mise en marché.

1961

Deux ans après sa création, la famille de Barbie s’agrandit. Doté d’un maillot de bain rouge et d’une serviette jaune, Ken est présenté comme son petit-ami.

1965

Barbie devient astronaute quatre ans avant que Neil Armstrong ne pose le pied sur la Lune. Depuis sa création, la poupée a pratiqué plus de 200 métiers, dont pilote, chef d’antenne et présidente des États-Unis.

1965

La première controverse ne tarde pas. La même année, une poupée est vendue avec un pèse-personne et un livre de régime qui conseille de « ne pas manger ».

1968

Barbie a une première amie afro-américaine, une poupée nommée Christie. Ce n’est qu’en 1980, toutefois, que Mattel commercialise la première Barbie à la peau noire.

1992

Barbie est à nouveau dans l’embarras. Mattel lance une poupée programmée pour répéter des phrases préenregistrées, dont « Les cours de maths, c’est difficile ! ». L’American Association of University Women ne tarde pas à accuser l’entreprise de perpétuer des stéréotypes de genre nocifs.

2004 

Comme Kirsten Dunst et Jake Gyllenhaal, Ken et Barbie annoncent leur séparation. Après quelques années d’une relation strictement platonique, la paire se réunira finalement en 2011 (mais pas Dunst et Gyllenhaal).

2006

Une étude publiée dans la revue Developmental Psychology révèle que les fillettes exposées à Barbie ont moins confiance en elles et expriment un plus fort désir d’être mince.

2016 

Mattel introduit trois nouvelles silhouettes : petite, grande et ronde. L’entreprise, dont les ventes mondiales ont chuté ces dernières années (un creux de 905,9 millions de dollars US, en 2015, pour les Barbies, selon Statista), affirme vouloir s’adapter à son époque. Pour certains, c’est trop peu, trop tard.

2018

L’entreprise lance une collection de poupées à l’image de femmes inspirantes, dont la peintre Frida Kahlo et la mathématicienne Katherine Johnson.

Sources : Times Magazine, Mattel, Reader’s Digest