Je prends les transports en commun toutes les semaines depuis plus de 40 ans.

Je sais l’importance de la fréquence du service pour les usagers et ses effets sur l’achalandage.

Je sais aussi l’importance du transport collectif pour la fluidité de l’ensemble des modes de transport, et donc pour l’économie et la société, notamment les moins nantis.

Je sais surtout que le transport public est l’une des solutions centrales à nos problèmes majeurs de réchauffement climatique.

Je sais tout cela, mais je ne peux cautionner la fronde de l’opposition et des amis du transport collectif contre la ministre des Transports, Geneviève Guilbault.

Et en même temps, je salue l’appel aux solutions solidaires lancé par le maire de Laval, Stéphane Boyer⁠1.

Je m’explique.

En déclarant que la gestion des transports en commun n’est pas de son ressort, la ministre Guilbault apparaît insensible aux impacts des énormes déficits des réseaux. Pour la grande région de Montréal, le trou passerait de 561 millions en 2025 à 700 millions en 2028.

En réalité, le gouvernement caquiste veut envoyer le message aux villes et aux sociétés de transport qu’elles devront, elles aussi, porter l’odieux des décisions difficiles, d’autant plus que le gouvernement en aura déjà beaucoup à prendre, avec son gros déficit de 11 milliards. Oubliez le simple chèque de Québec.

Dans sa lettre ouverte, le maire de Laval identifie notamment deux solutions pour se tirer de l’impasse : la hausse des taxes des automobilistes et la réouverture des conventions. Cette déclaration est courageuse, puisque rouvrir des conventions collectives, même si une crise majeure le justifie, est une hérésie dans le secteur public au Québec.

Le gouvernement caquiste ne veut pas porter ces lourdes responsabilités. Les caquistes sont allergiques aux taxes. Les automobilistes sont déjà frappés par la hausse du prix de l’essence, hausse qui se poursuivra nécessairement avec la mécanique du marché du carbone.

Surtout, le gouvernement caquiste ne veut pas être tenu responsable d’une réouverture des conventions collectives, lui qui peine à sortir de ses négociations avec ses propres employés, qu’on pense aux infirmières, notamment.

Les sociétés de transport, faut-il le rappeler, ont parfois accordé des augmentations salariales irresponsables à leurs employés, malgré l’effondrement de la fréquentation.

À la Société de transport de Laval, par exemple, l’entente 2022-2026 prévoit que le salaire grimpe en fonction de l’inflation, qui a atteint 6,8 % en 2022 et 3,9 % en 2023. Quelle organisation peut survivre en offrant de telles hausses en pleine crise des revenus ?

Les chauffeurs d’autobus gagnent déjà très bien leur vie, surtout dans la région de Montréal. Un chauffeur de la STM touchait un salaire moyen de 83 140 $ en 2022, somme qui grimpe à 112 130 $ si l’on inclut la valeur des avantages sociaux, notamment le généreux régime de retraite.

À Laval et à Longueuil, ces rémunérations moyennes avoisinent les 85 000 $ en 2022, 106 000 $ avec les avantages sociaux⁠2. Et que dire de la rémunération des cadres supérieurs de ces sociétés, qui n’avait absolument pas souffert de la déconfiture du réseau en 2022⁠3 ?

Quant aux employés municipaux autres que ceux du transport public, leur rémunération était 36 % plus généreuse que celle du gouvernement du Québec en 2023 pour des postes comparables⁠4. Il y a là beaucoup de millions à récupérer.

En même temps, le maire de Laval a raison. Les compressions ne seront pas suffisantes pour passer au travers, notamment parce que les frais fixes des sociétés de transport sont trop élevés.

Or voilà, l’intervention du gouvernement du Québec est pratiquement indispensable pour réduire les coûts au-delà des traditionnelles compressions, en plus d’augmenter l’achalandage.

C’est le cas pour certaines des solutions proposées par l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM).

L’ARTM a identifié une dizaine d’options qui pourraient réduire d’environ 125 millions par année la facture des transports en commun, explique le maire dans sa lettre. Parmi elles figure la mutualisation de certains services (sécurité, technologies, etc.), mais aussi le regroupement de certains organismes de transport.

Or, ces propositions exigeraient des changements législatifs venant du gouvernement du Québec.

La réouverture de certaines conventions collectives nécessiterait aussi un appui de Québec. Depuis toujours, les villes ont très peu de pouvoir de négociation face aux syndicats municipaux. Contrairement aux entreprises, elles ne peuvent menacer les syndiqués d’un lock-out.

Les sociétés de transport, de leur côté, ont perdu une bataille importante, l’été dernier, dans un jugement du Tribunal administratif du travail. ⁠5 Selon ce jugement, il n’y a pas d’obligation de maintenir les services essentiels dans les transports publics lors d’une grève.

Cette décision vient affaiblir encore davantage le pouvoir de négociation de l’employeur. Et sans une intervention de Québec – comme ce fut le cas pour les régimes de retraite municipaux – la partie semble perdue d’avance.

Bref, les villes ont certes un travail difficile à faire – et pas seulement de hausser la taxe sur l’immatriculation –, mais elles ont nécessairement besoin de Québec pour s’en sortir.

C’est ce qui fait dire au maire de Laval : « Nous aurons besoin d’un capitaine, qui a le pouvoir de changer les choses. Car pour mettre en marche les solutions qui permettront de réduire les dépenses ou d’augmenter les revenus, il faudra modifier des lois, ouvrir des conventions, réformer des institutions, utiliser des terrains gouvernementaux, etc. ».

Au bout du compte, tous devront contribuer : les municipalités, les sociétés de transport, les employés, les automobilistes, le gouvernement du Québec (possiblement avec le fonds vert)… et peut-être les usagers, s’ils ne redeviennent pas plus nombreux.

Pour le bien de tous, les divers intervenants ont intérêt à dresser un plan de match commun pour y parvenir… et le plus rapidement possible.

1. Lisez la lettre du maire de Laval, Stéphane Boyer 2. Lisez la chronique « Transport collectif : les déficits et la paye des chauffeurs d’autobus » 3. Lisez la chronique « Patrons du transport collectif : une grosse paye intacte, malgré la crise »

4. L’étude de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) date d’il y a six mois. Même si cet écart de 36 % s’est rétréci avec la hausse récente accordée au Front commun des employés du gouvernement du Québec, il reste important.

5. Consultez le résumé du jugement