La ministre des Transports, Geneviève Guilbault, procédera à un audit de performance des 11 sociétés de transport collectif du Québec. Son objectif ultime : trouver des économies, du gaspillage1.

Elle juge qu’il faut s’interroger sur la gestion de ces sociétés, notamment « quand on voit qu’on augmente les salaires des cadres pendant la pandémie, alors qu’il n’y a plus personne dans le transport collectif ».

Les municipalités répliquent que leur déficit est dramatique, que les 265 millions additionnels offerts par Québec pour 2024 sont insuffisants et que les sociétés de transport devront réduire le service. Qui dit vrai ?

Pour avoir un avant-goût de ce que pourrait trouver la firme comptable qui fera les audits, j’ai épluché les rapports financiers de neuf des sociétés de transport, en plus de contacter leur direction lorsque l’information manquait.

Il y a la rémunération des cadres supérieurs, que j’ai déjà traitée dans une précédente chronique2. Mais qu’en est-il de celle des chauffeurs d’autobus et autres employés ? Et que dire de l’évolution de l’effectif depuis la chute de l’achalandage ?

Premier constat : les chauffeurs de toutes les sociétés de transport ont vu leur rémunération moyenne augmenter en 2022, parfois beaucoup, malgré les problèmes d’achalandage3.

La Société de transport de Montréal (STM) arrive au sommet, à 7,1 %, suivie par le Réseau de transport de Longueuil (RTL), à 6,6 %.

Cette hausse porte sur la rémunération globale, qui inclut les avantages sociaux, par exemple les contributions de l’employeur au régime de retraite. Tout compris, cette rémunération moyenne des chauffeurs à temps plein dépasse les 100 000 $ dans trois sociétés, celles de la région de Montréal (STM, RTL et Société de transport de Laval).

La STM occupe le sommet, à 112 126 $. Tout en bas, à la Société de transport du Saguenay, on est à 83 271 $. Si on exclut les avantages sociaux, la rémunération moyenne des chauffeurs varie entre 65 200 $ et 84 440 $. C’est cette dernière somme qui se rapproche le plus de la paye touchée concrètement par les chauffeurs.

Notez que les avantages sociaux coûtent une fortune à la STM et à la Société de transport de l’Outaouais. Ils représentent respectivement 35 % et 40 % du salaire, contre 26 % ailleurs. Les régimes de retraite sont visiblement très gras.

Pourquoi ces hausses de rémunération ? À la STM, on justifie la hausse de 7,1 % par les heures supplémentaires effectuées par des chauffeurs et opérateurs de métro pour combler les absences plus nombreuses liées notamment à la COVID-19. La convention collective prévoit une prime pour les heures supplémentaires.

Autre raison, plus technique : la STM dit avoir limité l’embauche de nouveaux chauffeurs durant cette période, en plus d’avoir connu moins de départs, notamment à la retraite. Ces phénomènes combinés ont eu pour effet de faire monter la rémunération moyenne en 2022 et donc la hausse par rapport à 2021.

Tout de même, en 2022, les chauffeurs au sommet de l’échelle ont eu droit à une hausse de 2 %, selon la convention collective négociée de 2018. À laquelle s’ajoutent des augmentations de 7,2 % entre les échelons pour ceux qui ne sont pas au sommet de l’échelle.

Le RTL n’a pas répondu à mes questions à ce sujet.

J’ai aussi passé en revue le salaire des postes autres que chauffeur (cadres, cols bleus, cols blancs, professionnels). Comme la définition varie d’un endroit à l’autre, j’ai choisi de regrouper l’ensemble de tous les autres, que j’appelle les « non-chauffeurs ».

Ces autres postes sont payés plus de 100 000 $ chacun, en moyenne, dans toutes les sociétés de transport, si on inclut les avantages sociaux, sauf au Réseau de transport de la Capitale (99 927 $). Le Réseau de transport de Longueuil occupe le sommet, à 121 093 $.

Sans les avantages sociaux, la paye des « non-chauffeurs » varie de quelque 82 000 $ à 97 000 $, selon les réseaux4.

Ces autres postes, qui coûtent plus cher, sont nombreux. Ils représentent de 30 % à 56 % de l’effectif, selon les sociétés de transport. La STM, au sommet, est difficilement comparable, en raison de son réseau de métro, qui exige beaucoup d’employés d’entretien. Tout de même, 56 % de son personnel ne conduit ni autobus ni métro.

Cette proportion de « non-chauffeurs » a-t-elle augmenté ces dernières années ? Plutôt, oui, pour les trois sociétés de la région de Montréal dont j’ai le décompte. La part est même passée de 40 % à 45 % à Longueuil et de 36 % à 43 % à Laval.

Qu’est-ce qui explique ces hausses ? Divers éléments.

À la STM, on la justifie par les grands chantiers en développement, comme le prolongement de la ligne bleue et l’électrification du parc d’autobus.

À la Société de transport de Laval, on m’explique avoir aussi embauché pour s’occuper de l’électrification, entre autres, mais également pour l’opérationnalisation des trois terminus lavallois, dont le contrat de gestion était auparavant confié à exo.

Au Réseau de transport de Longueuil, on précise recevoir du financement supplémentaire du gouvernement pour des projets spéciaux, comme la gestion des équipements métropolitains, les mesures d’atténuation du pont-tunnel et l’électrification des transports. « Pour cette raison, nous ne pouvons pas comparer le nombre de cadres en 2022 avec les années précédentes. »

En somme, les raisons sont nombreuses, parfois justifiées, parfois moins, pour expliquer l’augmentation des coûts malgré le recul de l’achalandage.

Parmi les incongruités, dans le contexte, il y a la décision de la Ville de Montréal de réserver 40 millions par an pour rendre gratuit le transport des aînés, peu importe leurs revenus.

Les villes ont raison de dire que les solutions ne seront pas faciles à prendre. La masse salariale des organismes de transport, qui représente 60 % de leurs dépenses, est le principal élément compressible.

Or, les déficits attendus en 2024 équivalent à 22 % de cette masse salariale, si l’on se fie à la ministre Geneviève Guilbault, ou à près de 30 %, selon les municipalités5.

Avec la contribution de 265 millions de la ministre, cette part des déficits restants recule à entre 7 % et 15 % de la masse salariale, environ, selon les chiffres de l’un ou de l’autre. Comment boucler son budget avec un tel trou ?

Dans ce contexte de crise, néanmoins, il est impensable que les cadres et la main-d’œuvre continuent de recevoir des augmentations de salaire, comme si de rien n’était, et bien qu’un gel de rémunération ne serait pas suffisant, à lui seul, pour boucher le trou.

Oui, la situation exigerait des négociations difficiles avec les syndicats. Mais les difficultés du transport collectif ne dureront pas éternellement. Et qui pourra justifier de taxer davantage les citoyens pour financer les augmentations de salaires déjà généreux, alors que les réseaux sont à moitié vides en ce moment ?

1. Pour les audits, un appel d’offres sera lancé auprès d’une firme comptable externe après les Fêtes, m’a-t-on confirmé au ministère des Transports et de la Mobilité durable.

2. Lisez la chronique « Patrons du transport collectif : une grosse paye intacte, malgré la crise »

3. J’ai calculé la rémunération moyenne de chaque année en divisant la rémunération par le nombre de chauffeurs, comme indiqué aux rapports financiers. Ces rapports publient des postes en équivalent temps complet.

4. La composition variable des postes rend difficile la comparaison des hausses de rémunération moyenne d’une année à l’autre, ou du moins n’est peut-être pas représentative de la hausse d’un « non-chauffeur » type de 2022.

5. Les déficits des organismes sont estimés à 376 millions par la ministre et à quelque 500 millions par les municipalités, dont 461 millions pour les quatre organismes de la région de Montréal.