Vous vous rappelez cette polémique sur l’absence de fonds de grève de certains syndicats et sur l’importance d’avoir les états financiers pour y voir clair ?

Et plus largement, sur les difficultés d’accès aux états financiers par les membres cotisants ?

Eh bien voilà, l’affaire n’en est pas restée là. Une enseignante de la couronne sud de Montréal a tenté par tous les moyens d’avoir accès au précieux rapport financier. Et devant les tergiversations de son syndicat, elle a dû déposer une plainte au Tribunal administratif du travail. La cause concerne le Syndicat de Champlain, affilié à la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ).

C’est que, voyez-vous, la transmission des états financiers n’est pas facultative pour les syndicats. Le Code du travail du Québec rend même obligatoire la remise des états financiers aux membres qui les réclament.

Plus précisément, l’article 47.1 du Code précise que le syndicat « doit divulguer chaque année à ses membres ses états financiers. [Il] doit aussi remettre gratuitement au membre qui en fait la demande une copie de ces états financiers ».

Cet article laisse difficilement matière à interprétation. Normalement, un simple courriel devrait faire le travail : « Bonjour, je veux avoir une copie complète de vos états financiers, merci ».

Mais le Syndicat de Champlain et son président, Jean-François Guilbault, ne l’entendaient pas ainsi.

Voyons le fil des évènements. Peu après le conflit de fin d’année, la syndiquée cherchait à comprendre pourquoi l’organisation syndicale n’avait pas de fonds de grève (elle me demande de taire son nom pour s’éviter des problèmes). Elle a donc réclamé une copie des états financiers par téléphone à Jean-François Guilbault.

Résultat ? On lui répond que ce n’est pas possible, qu’elle doit se rendre au bureau syndical pour les voir. L’accès serait donc pour un temps limité, durant les heures de travail, et sans possibilité d’en faire des copies ou des photos.

Après certaines recherches, elle constate que le syndicat est tenu de lui remettre une copie en vertu de la loi. Elle fait donc une demande formelle par courriel le 20 février.

Le 13 mars, on lui répond que sa demande doit être soumise « au comité de coordination politique du syndicat », qui se penchera sur ses pratiques à cet égard.

Devant cet apparent blocage, la syndiquée – aussi déléguée syndicale de son école – dépose une plainte au Tribunal administratif du travail, le 14 mars.

« Je ne souhaite pas entrer en guerre avec le syndicat. Je veux permettre aux syndiqués d’avoir un accès facile à ce qui leur est dû, soit les états financiers, et de se questionner. Et qui sait, peut-être participer à faire bouger les choses », m’explique-t-elle.

Le 9 avril, le débat se transporte en assemblée syndicale. On lui répond que le syndicat présente les états financiers seulement sur PowerPoint lors d’une assemblée spécifique ou encore les rend accessibles au bureau sur demande.

Pourquoi un tel secret, un tel contournement apparent de la loi ?

Pour comprendre, je passe un coup de fil au président du syndicat, Jean-François Guilbault, le vendredi 3 mai.

Il me répond que la publication des états financiers est un enjeu pour l’organisation. « Ça nous rend vulnérables face au maraudage [des autres syndicats] et devant l’employeur dans une négociation », me dit-il.

Il ajoute que la déléguée syndicale devrait recevoir, dans les prochains jours, un résumé des états financiers certifié par une firme comptable indépendante.

Moins de deux heures après mon appel, la syndiquée m’apprend finalement qu’elle a reçu le résumé en question… Tiens donc !

Mais le débat ne s’arrête pas là. L’article 47.1 du Code précise clairement que le syndicat doit remettre une copie de ses états financiers, pas un résumé.

Or, en comptabilité, il n’y a pas deux ou trois jeux distincts d’états financiers, selon le bon vouloir de l’organisation. L’objectif de la comptabilité est justement d’avoir des normes appliquées par tous et donc comparables pour qu’on puisse avoir confiance en les données présentées.

Les parties 2 et 3 du manuel des comptables agréés du Canada précisent d’ailleurs que les états financiers d’un organisme à but non lucratif doivent comprendre le bilan, l’état des revenus et dépenses, l’état des flux de trésorerie et l’opinion de l’auditeur indépendant.

Surtout, les notes aux états financiers, qui donnent des précisions sur les chiffres, font partie intégrante des états financiers, m’indique l’expert Michel Magnan, professeur de comptabilité à l’Université Concordia.

« Il n’y a pas d’ambiguïté à ce sujet. Sinon, ça peut être n’importe quoi », me dit-il.

À ce sujet, Jean-François Guilbault, du Syndicat de Champlain, me dit que son résumé est conforme à ce qui est prescrit par la jurisprudence, notamment des décisions rendues en 2016 et en 2017⁠1. Fort bien.

Sauf qu’il faut savoir que peu de décisions ont nourri la jurisprudence sur ce que constituent des états financiers. De plus, ces décisions se basent sur le Code canadien du travail, faute de jugements en vertu du Code du travail du Québec.

Or, le code canadien donne une certaine latitude quant à ce qui constitue des états financiers, les définissant comme « un état des finances suffisamment détaillé pour donner une image juste et fidèle de l’état des finances et des opérations financières du syndicat ».

Au Québec, le Code ne donne pas cette largesse. Il précise que le syndicat doit divulguer SES états financiers et remettre une copie de CES états financiers aux membres. Difficile d’en comprendre qu’il y a diverses formes d’états financiers.

La plaignante dans cette affaire envisage de maintenir sa plainte au tribunal, vu l’état de la situation.

Ce que j’en pense ? Qu’il est inadmissible que des membres qui paient obligatoirement plusieurs centaines de dollars par année à une organisation ne puissent avoir aisément le portrait fidèle de ses finances. Et ce portrait, ce sont les états financiers audités, comme défini dans le manuel des comptables professionnels.

1. Consultez une décision rendue en 2016 1. Consultez une décision rendue en 2017