Dans les films, les histoires d’héritages qui sèment la bisbille au sein de familles fortunées nous tiennent en haleine. Dans la vraie vie, certains testaments provoquent de grandes souffrances, peu importe les sommes en cause. Une réalité qui, par la force des choses, est taboue et méconnue.

J’écrivais, tout récemment, sur ces parents qui déshéritent leurs enfants d’une première union après avoir retrouvé l’amour. Pas moins de 30 % des hommes et 12 % des femmes agiraient de la sorte, au Québec⁠1.

Loin de moi l’idée de juger ceux qui n’inscrivent pas le nom de leurs descendants dans leur testament. Il peut y avoir toutes sortes de raisons, certaines excellentes, d’autres qu’on pourrait qualifier de rationnelles, de revanchardes, de choquantes, d’irresponsables. L’énumération pourrait être longue.

Peu importe ce qui se cache réellement derrière les choix qu’on fait en matière de legs, ils peuvent être très lourds de conséquences sur le plan psychologique. Les effets d’une telle décision ne doivent surtout pas être sous-estimés, tant par les testateurs que par les notaires qui rédigent les dernières volontés.

Tel est le message ou plutôt l’avertissement que veut transmettre une femme que j’appellerai Simone. Quand son père est mort, en 2017, il n’a pas laissé un sou à ses quatre enfants adultes. Cette décision a hypothéqué tous les membres de la famille.

« Un de mes frères en a fait une dépression très profonde, l’autre a eu des troubles de plus en plus sévères de comportement. Ma sœur est restée choquée à l’intérieur d’elle-même et s’est refermée comme une huître. Nous avons tous été reniés. Je n’ai pas accepté sa trahison. »

Pour Simone, il est inconcevable d’avoir eu une relation agréable avec son paternel, d’avoir pris soin de lui quand il était malade à la fin de sa vie, d’avoir échangé des sourires pendant des années et d’être ensuite « poignardée dans le dos », dans son testament. « Tout ça, c’était du vent ? C’est ce qui me fait souffrir tous les jours. » La sexagénaire a le sentiment d’avoir été exclue de sa propre famille.

« Happée » par mon texte, la romancière et chroniqueuse Geneviève Pettersen (98,5 et Noovo) a révélé⁠2 publiquement que son père mort l’été dernier ne lui avait rien légué. Jusque-là, elle en avait peu parlé, même à son entourage, malgré sa détresse. Il y avait la honte, bien sûr. Mais elle craignait aussi de passer « pour une fille à l’argent », m’a-t-elle raconté.

Voilà ce qui rend l’affaire aussi invisible : comment exprimer sa douleur sans attirer les critiques et les jugements blessants ?

Geneviève constate que le choix de son père complique son processus de deuil. « C’est un euphémisme de le dire. C’est extrêmement douloureux de faire face à cette décision, immuable, prise par un parent. Et ça peut être extrêmement violent d’en arriver au constat que l’on ne valait même pas cinq cennes. »

Les deux femmes en sont convaincues : obtenir un petit rien aurait tout changé. Ça aurait pu être une canne à pêche, une lettre, un bibelot… Un héritage, ce n’est pas une question d’argent, c’est la sensation d’avoir été important pour quelqu’un, de faire partie d’un clan.

C’est pour cette raison qu’avec sa fratrie, Simone a contesté le testament. Pour reconstituer la famille, en quelque sorte. L’affaire s’est réglée à l’amiable. Une amie du défunt, qui l’aurait manipulé pour obtenir tous ses actifs, selon la poursuite, les a finalement partagés.

Malgré tout, Simone est d’accord avec les lois québécoises qui permettent de léguer ses avoirs aux personnes de son choix, ce qui n’est pas le cas en France. Elle se questionne toutefois sur le rôle des notaires. Celle qui s’occupe des affaires de toute sa famille depuis toujours et qui a changé le testament du paternel en faveur de l’amie n’a-t-elle pas trouvé curieux que les quatre enfants soient subitement rayés du texte ? Elle devait, en théorie.

Mais à partir du moment où son client semblait apte à tester (pas d’altération majeure des capacités mentales) et libre de ses choix, la notaire devait respecter ses volontés, qu’elles soient raisonnables ou non. L’important, c’est que les choix soient réfléchis et compris. Bien sûr, le processus est confidentiel : pas question d’alerter les enfants déshérités.

Pour minimiser les risques de contestation et faire réfléchir les parents, la notaire Cassandra Vermette pose beaucoup de questions dans ce genre de situation. « C’est quoi, la raison en arrière ? Est-ce qu’il s’est passé quelque chose de gros ou c’est juste la frustration de ne pas avoir vu son enfant à Noël ? Il faut faire réaliser aux gens ce que ça va créer, à la lecture, de déshériter un enfant ou tous les enfants. »

Hélas, la Chambre des notaires et le Barreau ne possèdent aucune statistique sur la proportion de testaments contestés ou le nombre de causes du genre entendues par les tribunaux.

Mais ça arrive et des personnes gagnent « régulièrement », révèlent les recherches de Christine Morin, professeure titulaire de la faculté de droit de l’Université Laval et notaire émérite. Le motif de contestation le plus répandu est « l’incapacité du testateur ». Mais la justice entend aussi des causes où le défunt semble avoir été influencé de manière frauduleuse par une personne de mauvaise foi, ce qu’on appelle la captation.

Avec la multiplication des familles recomposées aux organigrammes complexes, il faut s’attendre à ce que les déceptions douloureuses et les contestations soient de plus en plus nombreuses.

1. Consultez l’article « Déshériter ses enfants comme Johnny Hallyday » 2. Consultez la chronique de Geneviève Pettersen