Ce texte aurait pu s’intituler Hasards et héritages. Fait rarissime de nos jours, une lettre est atterrie dans mon pigeonnier. Une mère y racontait que son ex-conjoint a déshérité leur enfant « par vengeance », après un divorce houleux, parce qu’elle a réclamé une pension alimentaire. L’homme favoriserait plutôt les enfants de sa nouvelle conjointe, une situation qu’elle trouve fort injuste.

Est-ce permis, au Québec, de déshériter ses propres enfants ? me demandait Marielle.

La question est loin d’être farfelue quand on sait qu’en France, il est obligatoire de léguer une partie de son patrimoine à ses descendants. Ça s’appelle le principe de la réserve héréditaire. Seule une petite proportion du patrimoine du défunt peut être versée aux personnes de son choix, selon des règles fixes écrites dans la loi.

D’ailleurs, la chicane cinglante dans le clan du chanteur Johnny Hallyday, après sa mort en 2017, émanait de cette loi. Puisqu’il vivait entre la France et les États-Unis, pouvait-il légalement déshériter deux de ses quatre enfants comme le permet la loi américaine ? Tout le débat juridique tournait autour de la question de la résidence habituelle du défunt. Un tribunal a jugé que c’était la France.

J’avais lu sur cette affaire par hasard, en tombant à la bibliothèque sur un magazine dans lequel deux philosophes partageaient leurs avis contradictoires sur la liberté financière, le devoir parental et les obligations morales. Cette lecture avait ensuite provoqué une discussion animée avec mes collègues de bureau.

Et voilà que je croise, des années plus tard, la chercheuse Hélène Belleau, professeure à l’INRS et titulaire de la Chaire argent, inégalités et société. De quoi me parle-t-elle spontanément alors qu’on casse la croûte ? D’héritages. De la manière dont les femmes et les hommes partagent différemment leur patrimoine.

Car les Québécois sont libres de léguer leur patrimoine aux personnes ou aux organisations de leur choix depuis 1774. Quand les Britanniques sont arrivés ici, ils ont enlevé les restrictions amenées par les Français pour protéger les descendants. Depuis, on peut donner tout son argent à un organisme de charité, son meilleur ami, son église, ou sa nouvelle flamme.

C’est ainsi que 30 % des pères québécois de 25 à 50 ans qui se sont remariés ne lèguent rien aux enfants nés de leur première union. Comme l’ex de cette femme qui m’a écrit. Et comme Johnny Hallyday.

C’est l’une des découvertes étonnantes issue d’une recherche dirigée par Maude Pugliese, professeure à l’INRS et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en expériences financières des familles et inégalités de patrimoine. La chercheuse n’arrivait tout simplement pas à croire les chiffres qu’elle avait devant elle. « Il fallait voir mon visage ! Je pensais m’être trompée », m’a-t-elle raconté. Elle a tout recalculé.

Certaines femmes aussi le font, mais dans une bien moindre mesure (12 %). Bref, l’héritage est quelque chose de genré à maints égards.

En gros, pour les mères, il symbolise l’amour. La pression de léguer quelque chose et surtout le souci de répartir la somme également entre chacun des enfants sont donc très forts. Les hommes ne veulent pas blesser leurs enfants, mais ils adoptent plus souvent une logique de pourvoyeur, ce qui les incite à vouloir protéger financièrement leur « nouvelle famille », ont constaté les deux scientifiques.

« Les hommes ont une plus grande ouverture à répartir leur patrimoine selon les besoins de chacun des enfants et à avoir une discussion avec eux pour justifier leurs choix », ajoute Camille Biron-Boileau, une étudiante au doctorat en sociologie à l’Université de Chicago qui s’intéresse aux pratiques testamentaires.

La réalité est sans doute beaucoup plus nuancée et les explications (biologiques, psychologiques, sociologiques) fort nombreuses, mais la question n’a pas encore été, hélas, très approfondie.

Quant au fils de Marielle, déshérité par son père en toute légalité, ses recours sont à peu près nuls.

Les seules personnes déshéritées qui pourraient obtenir un montant de la succession sont celles en manque de ressources pour subvenir à leurs besoins de base. « Depuis 1989, on a introduit une restriction indirecte à la liberté de tester, via la survie de l’obligation alimentaire », m’a expliqué Christine Morin, professeure titulaire à la faculté de droit de l’Université Laval et notaire émérite.

Un enfant qui recevait une pension alimentaire pourrait donc réclamer un montant à la succession pour couvrir ses besoins. Un descendant adulte dans une situation particulièrement précaire le pourrait aussi, en théorie, si un handicap l’empêche de gagner sa vie, par exemple.

Ce qui est particulier, c’est que certaines provinces sont plus « françaises » que le Québec, car elles ont introduit dans leurs lois des obligations morales envers les enfants.

On se retrouve donc, au Québec, avec les règles les plus « anglaises » du pays.

La lecture des règles successorales complexes du Québec permet par ailleurs de constater que certains enfants seraient mieux protégés si leurs parents n’avaient pas de testament. Si une personne mariée meurt, tous les enfants se partagent les deux tiers (2/3) du patrimoine à parts égales. Si le défunt a des enfants, mais aucun conjoint avec lequel il est marié ou uni civilement, sa succession entière revient à ses enfants.

Sans testament, rien n’est laissé au hasard.

Découvrez le partage des successions effectuées sans testament (les conjoints de fait ne sont pas des héritiers, peu importe la durée de l’union et la présence ou non d’enfants) :

Consultez la page « Est-ce que vos documents légaux sont à jour ? » du site de la Financière Banque Nationale