C’est un peu cru comme constat, mais la mesure fédérale sur le gain en capital touchera probablement davantage les morts que les vivants, si l’on peut dire. Et elle s’apparente à une hausse des impôts sur l’héritage, en quelque sorte.

Pourquoi donc ? Parce que les contribuables qui décèdent sont tenus de payer des impôts sur tous leurs revenus et gains avant le transfert aux héritiers. La vente présumée ou réelle de leurs biens vaut tant pour le portefeuille de placements en Bourse que pour le chalet ou le triplex (le gain sur la résidence principale reste non imposé).

La possibilité est donc grande que le volet de la mesure de Chrystia Freeland qui concerne les particuliers – pas celle sur les sociétés – touche en grande proportion les personnes décédées. Ou, autrement dit, que le gain en capital total de ces contribuables dépasse la fameuse limite annuelle de 250 000 $ au-dessus de laquelle 66,7 % du gain est imposé plutôt que 50 %.

Les contribuables âgés qui ont un important gain en vue ont donc tout intérêt à planifier leurs affaires pour minimiser l’impôt au décès, de sorte que leurs héritiers n’en souffrent pas, si c’est ce qu’ils souhaitent. J’explique comment plus loin.

Les personnes décédées représentent 1,7 % des personnes qui déclarent un gain en capital, mais 16 % de la valeur totale des gains réalisés. Le gain en capital moyen de ces personnes décédées est presque 10 fois plus élevé que celui des contribuables vivants, selon une analyse de la Chaire en fiscalité et en finances publiques (CFFP) de l’Université de Sherbrooke pour l’année 2018.

En moyenne, le gain en capital des personnes décédées est relativement petit (95 000 $ au Québec et 120 000 $ au Canada), ce qui démontre l’impact limité de la mesure fédérale chez les particuliers.

Le gain en capital est probablement bien plus important pour les sociétés, notamment les sociétés de portefeuille que détiennent les professionnels (avocats, médecins, etc.). Ces sociétés sont aussi visées par la mesure Freeland, mais elles ne bénéficient pas du seuil de 250 000 $.

Que cette forme d’impôt sur l’héritage pour certains riches particuliers soit instaurée n’est pas surprenant pour un gouvernement plutôt à gauche en manque de fonds. Bien des partis à gauche dans le monde – notamment Québec solidaire aux dernières élections – militent pour un impôt sur l’héritage afin de briser les inégalités que perpétuent ces transferts de patrimoine.

Au Canada, un tel impôt sur l’héritage n’existe pratiquement plus, mais le déclenchement des gains au décès avec le paiement des impôts qui s’y rapportent joue le même rôle. Dit autrement, la mesure Freeland augmente, en quelque sorte, ce qui s’apparente à l’impôt canadien sur l’héritage.

Des moyens pour l’éviter

La loi entérinant la mesure n’est pas encore adoptée, mais selon les paramètres connus, le fiscaliste Jean-François Thuot, de PwC, suggère des moyens pour éviter que la mesure ne vienne réduire l’héritage.

Selon ses calculs, les économies peuvent atteindre 87 500 $ pour un contribuable qui a un gain en capital latent de 1 million de dollars (en supposant que la mesure fédérale sera aussi appliquée par Québec).

Pour la portion du patrimoine qui est placée sur les marchés boursiers, la solution est assez simple. Dans les années précédant le décès, il suffit de vendre des placements chaque année de sorte que le gain en capital annuel soit sous le seuil de 250 000 $, ce qui évite donc l’inclusion à 66,7 %. Le contribuable devra payer l’impôt sur le gain durant l’année de la vente, mais il aura les liquidités pour le faire.

Pour les chalets et les immeubles à revenus, moins liquides, le contribuable devrait petit à petit en transférer la valeur à ses héritiers avant le décès. Et encore une fois, il faudra que la portion transférée chaque année ne provoque pas de gain en capital au-dessus de 250 000 $.

Par exemple, un parent dont les deux enfants sont les héritiers pourrait, dans un premier temps, leur céder chacun 10 % du chalet à la juste valeur marchande, en supposant que cette part de 20 % ne donne pas lieu à un gain en capital de plus de 250 000 $. Le paternel devrait en revanche payer les impôts sur ce gain dans l’année du transfert et trouver les liquidités pour ce faire.

Il peut recommencer l’année suivante, et ainsi de suite. La planification vaut aussi pour les immeubles à revenus, bien que le calcul fiscal soit plus complexe, étant donné la récupération de l’amortissement qui avait été réclamé au fil des ans.

Jean-François Thuot a fait divers scénarios pour calculer les gains d’une telle stratégie pour un patrimoine dont le gain en capital serait de 1 million de dollars.

Dans ces scénarios, le gain de 1 million est réparti sur 4 ans, à raison de 250 000 $ par année. Comme le gain est sous le seuil de 250 000 $, le taux d’inclusion n’est que 50 % chaque année.

En revanche, si le gain de 1 million était déclenché au moment du décès, une portion de 250 000 $ aurait été visée par le taux d’inclusion de 50 %, mais le reste par le nouveau taux de 66,7 %.

Selon les calculs de PwC, le fait de répartir ainsi le gain sur quatre ans permettrait essentiellement d’économiser entre 67 800 $ et 87 500 $, selon le niveau de revenus annuel du contribuable.

Les sociétés ne peuvent utiliser ce genre de planification, ne bénéficiant pas du seuil de 250 000 $. Dans leur cas, Jean-François Thuot suggère de déclencher le gain en capital avant le 25 juin prochain en vendant l’actif de la société à une autre société, les deux détenues par le même actionnaire. La stratégie est tout à fait légale.

Ce faisant, l’économie d’impôt pour la société dans le cas d’un gain en capital de 1 million avoisinerait 83 600 $. L’impôt devrait tout de même être payé, ce qui exige que la société ait les liquidités pour le faire.

Comme vous le voyez, la mesure Freeland a plusieurs incidences. Et elle rend bien des investisseurs nerveux, me dit Jean-François Thuot. Les bureaux de comptables seront occupés d’ici le 25 juin.