Ne rien faire. Voilà une bonne stratégie fiscale qu’auraient intérêt à employer bien des contribuables visés par la mesure de Chrystia Freeland, étonnamment.

Cette stratégie est rapidement devenue évidente aux yeux du fiscaliste Stéphane Leblanc, d’EY, présent à mes côtés à Ottawa dans le huis clos budgétaire. D’autres lecteurs m’en ont fait part, dont le professeur en finance de l’UQAM Richard Guay, dans la foulée de ma chronique « Comment éviter l’impôt Freeland aux héritiers », publiée jeudi.

L’avalanche de courriels reçus me confirme que la question préoccupe les lecteurs, bien qu’elle touche relativement peu de contribuables. J’expliquais dans la chronique que les contribuables âgés qui ont un important gain latent ont intérêt à planifier leurs affaires pour minimiser l’impôt au décès, de sorte que leurs héritiers n’en souffrent pas, si c’est ce qu’ils souhaitent.

Au décès, rappelons-le, les contribuables doivent payer des impôts sur tous leurs revenus et gains avant le transfert aux héritiers. L’impôt Freeland risque donc de toucher beaucoup d’héritages.

Pour l’éviter, il était question dans la chronique de liquider progressivement les gains chaque année pour tomber sous le seuil de 250 000 $ au-dessus duquel le taux d’inclusion passe de 50 % à 66,7 %. L’économie fiscale pourrait atteindre 87 500 $ sur quatre ans dans le cas d’un gain latent de 1 million de dollars⁠1.

D’autres particuliers – pas nécessairement pour la succession – pourraient vouloir liquider avant que le taux d’inclusion passe de 50 % à 66,7 %, le 25 juin prochain.

Or voilà, ces stratégies dépendent évidemment du nombre d’années que les biens avec gain en capital excédant 250 000 $ sont prévus être conservés, qu’il s’agisse de chalets, de plex ou d’actions. Ou encore de l’espérance de vie du contribuable, dans le cas des personnes âgées.

Pourquoi ? Parce qu’en liquidant des biens plus rapidement (actions en Bourse ou autres), le contribuable doit payer des impôts qu’il reporterait s’il ne vendait pas. Et ces versements non prévus au fisc auraient rapporté des rendements chaque année, si bien qu’après quelques années, les rendements peuvent surpasser les économies d’impôts.

En somme, pour les particuliers au portefeuille bien garni qui ne sont pas trop avancés en âge – ou qui prévoient vivre encore plusieurs années –, il peut être plus payant de laisser les gains en capital s’accumuler et donc de reporter l’impôt, un peu comme un REER. Bref, de ne rien faire.

Douze ans

Richard Guay, de l’UQAM, a fait le calcul en fonction de certains paramètres réalistes (rendement du portefeuille, plus-value du chalet, etc.) dans le cas de la stratégie de vente progressive pour minimiser l’impôt des héritiers.

Et il estime qu’il est préférable DE NE PAS liquider progressivement le bien s’il est prévu être conservé pendant plus de 12 ans.

En bas de cinq ans de la liquidation totale, la stratégie fiscale de vente progressive est clairement avantageuse. Passé 12-15 ans, absolument pas. Entre les deux, il faut prendre en compte d’autres facteurs non financiers, le cas échéant.

Richard Guay, professeur en finance

Ces facteurs non financiers valent en particulier si le bien est un chalet, par exemple. Céder progressivement son chalet aux héritiers (et déclencher ainsi du gain en capital) ne doit pas engendrer des chicanes de famille. Et il faut tenir compte des frais de notaire, bien qu’ils demeurent nettement moindres que les gains fiscaux attendus.

Autrement dit, les retraités qui prévoient mourir dans plusieurs années feraient mieux d’oublier cette stratégie.

Quoiqu’il en soit, le fiscaliste Jean-François Thuot, de PwC, fait valoir que le contribuable qui utilise cette stratégie doit choisir judicieusement quels placements liquider pour payer les impôts engendrés lors des ventes subséquentes procurant un gain sous le seuil annuel de 250 000 $.

« Il y a fort à parier que notre retraité possède un portefeuille diversifié et utilisera probablement des liquidités sur lesquelles le rendement après impôt est faible », dit M. Thuot.

Comme vous voyez, le changement de toute règle fiscale se traduit par diverses réactions des contribuables, d’où l’importance pour les autorités d’agir avec doigté. Les contribuables visés auraient d’ailleurs intérêt à valider toute stratégie avec leur fiscaliste, qui tient compte de toutes les facettes de leur situation.

Ceux qui s’offusquent de ces réactions à l’impôt Freeland ne devraient pas. Ce sont les comportements attendus des contribuables bien nantis (et leurs sociétés) avant l’échéance du 25 juin qui permettront au gouvernement fédéral d’empocher 6,9 milliards d’impôts de plus cette année.

Rappelons que la mesure fédérale, que le Québec harmonisera, ne vise pas les résidences principales. Et que le nouveau taux d’inclusion de 66,7 % s’appliquera aux gains excédant 250 000 $ pour les particuliers (et sans ce seuil pour les sociétés), peu importe le moment où le bien a été acheté dans le passé. Cette application a fait dire à l’ancien ministre fédéral des Finances Bill Morneau qu’il s’agissait d’un impôt rétroactif.

1. Lisez la chronique « Comment éviter l’impôt Freeland aux héritiers »