Au rythme où vont les choses, il faudra plus de 10 ans pour retrouver le niveau de vie auquel on pouvait s’attendre avant le boom récent de l’immigration et le ralentissement post-pandémique.

Ce constat vient d’une étude de deux économistes de Statistique Canada, l’organisme fédéral qui collige les grandes données économiques et sociales canadiennes.

Leur analyse du PIB par habitant – mesure phare du niveau de vie – survient dans le contexte où plusieurs économistes critiquent le fédéral au sujet du boom de l’immigration au Canada, dont fait mention l’étude.

En particulier, des critiques s’interrogent sur la capacité de notre économie à absorber le flot d’immigrants quant aux logements et aux services publics. Certains doutent par ailleurs que la croissance de notre PIB – du moins à court terme – soit suffisante pour maintenir le même niveau de vie à l’ensemble de la population, vu sa forte croissance.

Justement, les deux chercheurs de Statistique Canada constatent qu’en 2023, la population canadienne a crû de 3,2 % – une augmentation quasi record –, soit de près de 1,3 million d’habitants. En parallèle, l’activité économique a significativement ralenti, si bien que le PIB par habitant a maintenant un niveau inférieur à celui d’avant la pandémie, de l’ordre de 2,5 %.

Plus précisément, à la fin de 2023, le PIB par habitant s’élevait à 58 100 $ au Canada, soit 1500 $ de moins qu’à la fin de 2019 (59 600 $). La valeur est exprimée en dollars constants de 2017, c’est-à-dire dégonflée des effets de l’inflation (comme dans le reste de l’article).

Pour voir les effets conjugués de ce ralentissement et de l’immigration, les deux chercheurs ont fait des projections du niveau de vie auquel le Canada devrait s’attendre dans le futur. Ils ont fait ces projections en prenant la croissance historique de ce niveau de vie depuis 40 ans, soit 1,1 % par année.

Ainsi, si le niveau de vie des Canadiens continuait de suivre cette tendance, il atteindrait 68 800 $ dans 10 ans, en 2033, calculent les chercheurs.

Or, cette cible dans 10 ans est difficilement atteignable, vu notre récent retard, selon l’étude. Pour y arriver, il faudrait que le Canada parvienne à faire croître son PIB par habitant de 1,7 % par année, en moyenne, d’ici 10 ans.

« Une croissance par habitant de cette ampleur est ambitieuse et s’écarte nettement des tendances récentes », expliquent dans leur analyse les économistes Carter McCormack et Weimin Wang, de Statistique Canada.

De fait, dans la décennie ayant précédé la pandémie, le PIB réel par habitant canadien a crû de moins de 1,1 % par année.

De plus, cette croissance espérée de 1,7 % du PIB par habitant d’ici 10 ans, elle serait supérieure à la forte croissance postpandémique des États-Unis, qui s’est traduite par une hausse de 1,6 % du PIB par habitant.

Doper la productivité

En citant les études d’autres économistes, les chercheurs de Statistique Canada notent que la hausse de la productivité est la seule façon réaliste de parvenir à atteindre le niveau de vie attendu. La productivité du travail, soit le PIB par heure travaillée, est d’ailleurs intimement liée au niveau de vie (PIB par habitant).

Certes, le niveau de vie peut aussi augmenter si les Canadiens travaillent davantage ou encore si la proportion de la population qui travaille augmente. Mais selon la recherche, 93 % de la hausse du PIB par habitant depuis quatre décennies au Canada s’explique par la croissance de la productivité.

Et compte tenu du vieillissement de la population, il faut s’attendre à ce que la croissance de la productivité soit encore le moteur de la hausse du niveau de vie au cours des prochaines années, fait valoir l’étude.

La productivité, rappelons-le, progresse notamment lorsque les organisations investissent dans les technologies, les équipements et la machinerie, en plus d’améliorer leur organisation du travail.

C’est d’ailleurs ce qui s’est produit entre 1991 et 2001 au Canada, alors que la croissance annuelle du niveau de vie, soit le PIB par habitant, atteignait 2,2 %, un sommet.

« Cette augmentation [de 2,2 % ] a coïncidé avec des améliorations soutenues de la productivité du travail, stimulées par la mise en œuvre de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis et l’adoption généralisée des technologies de l’information et des communications », écrivent les économistes de Statistique Canada.

Or voilà, aujourd’hui, l’investissement par travailleur dans les entreprises est environ 15 % moindre qu’il y a 15 ans, notamment en raison de l’effondrement du prix des produits de base, faut-il dire, par exemple le pétrole.

Autre facteur défavorable à la productivité : la concurrence moindre de l’environnement économique canadien, notent-ils, notamment par rapport aux États-Unis. Au Canada, plusieurs industries sont protégées de la concurrence pour diverses raisons.

Statistique Canada ne le dit pas, mais les politiciens sont de plus en plus préoccupés par cette faible croissance du niveau de vie et de la productivité. La raison est simple : un PIB par habitant plus élevé permet au gouvernement de soutirer davantage de recettes fiscales des contribuables et d’ainsi mieux financer les missions de l’État (santé, éducation, transport, etc.).

À l’inverse, une productivité anémique finit par miner la qualité de nos services publics.

Nous n’avons pas fini d’en entendre parler…

Consultez l'étude de Statistique Canada