On ne badine pas avec la réduflation en France. Dans certains supermarchés, des affiches pointent les aliments devenus plus légers en catimini. Cette pratique deviendra même obligatoire dès l’été, une idée qu’Ottawa trouve « absolument géniale ». On ne peut pas être contre le principe de mieux informer les consommateurs pour qu’ils puissent prendre des décisions éclairées.

À l’heure actuelle, il faut être doté d’une mémoire d’éléphant ou avoir une obsession des chiffres pour être capable d’identifier les emballages moins remplis en faisant ses courses. Souvent, c’est à la maison que le doute s’installe.

On ouvre une boîte, de céréales ou de craquelins, et on voit bien qu’elle en contient moins que d’habitude. Ou alors, en faisant une lasagne, on s’étonne qu’une seule brique de fromage ne suffise plus à la recouvrir entièrement, comme ça m’est arrivé dimanche dernier. Plus les mois d’inflation passent, plus les exemples de réduflation (shrinkflation, en anglais) sont nombreux.

Il n’y a rien d’illégal dans cette stratégie si le poids des aliments inscrit sur les emballages est exact.

Mais on joue avec les perceptions des clients quand le format de la boîte n’a pas bougé d’un poil alors que la quantité d’aliments à l’intérieur a été réduite. C’est ce qui alimente le sentiment de tromperie.

Les changements sont généralement subtils, de l’ordre de 5 à 10 %, progressifs, et par conséquent difficiles à percevoir.

En France, le gouvernement a décidé d’agir pour protéger les consommateurs.

À partir du 1er juillet, les supermarchés devront obligatoirement apposer une affichette à proximité des produits lorsque leur quantité diminue et que leur prix reste inchangé ou augmente. L’information sera maintenue en place pendant deux mois.

Cette stratégie est copiée sur celle du géant de l’alimentation Carrefour. Depuis des mois, il montre du doigt des exemples de réduflation avec de petites affiches. Cela lui permet de se positionner comme un défenseur du pouvoir d’achat de ses clients, quitte à créer des tensions avec ses fournisseurs. Il faut saluer l’audace, quand même.

PHOTO DEE-ANN DURBIN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Exemple de réduflation. Deux boîtes de Kleenex semblables, mais celle de droite contient cinq unités de moins.

On n’a jamais rien vu de tel au Canada, mais notre ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, veut que ça change, a révélé le Journal de Montréal. L’élu qui milite pour une stabilisation du prix du panier d’épicerie juge que l’initiative française est « absolument géniale », m’a dit son attachée de presse, Audrey Champoux. « Quand on a vu la nouvelle, on s’est dit que c’était un no-brainer. » Ottawa entend donc « pousser » sur les provinces pour qu’elles emboîtent le pas à la France, puisque l’affichage en magasin n’est pas de compétence fédérale.

En pratique, qu’est-ce que des affiches mettant au grand jour les exemples de réduflation vont changer ? C’est la grande question.

Le ministre Champagne croit que les consommateurs vont modifier leurs habitudes d’achat, ce qui pourrait réduire le prix de leur panier d’épicerie. Au rayon des pâtes alimentaires, où les produits ne sont pas très différents les uns des autres, il est probable que la marque qui vient de réduire ses formats écope... jusqu’au jour où ses concurrents feront la même chose. Tous les experts en alimentation vous le diront : dès qu’une entreprise part le bal, les autres suivent rapidement puisqu’elles font face aux mêmes hausses de coûts (ingrédients, salaires, emballages, transport).

Cela dit, les clients devront quand même regarder le prix pour 100 grammes. L’aliment pointé par une affichette gênante pourrait quand même s’avérer le moins cher de sa catégorie !

PHOTO MATT ROURKE, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Deux bouteilles de Gatorade qui se ressemblent, mais celle de droite contient moins de liquide que celle de gauche.

Pour d’autres aliments, je prédis que les clients informés de la réduflation rouspéteront, lèveront les yeux au ciel, mais resteront fidèles à leurs habitudes.

Certaines personnes mangent toujours les mêmes céréales, le même fromage, la même crème glacée. Ils ne remplaceront pas les Oreo ou les Ritz parce qu’il y en a un ou deux de moins dans la boîte.

Ottawa prédit que « ça va mettre les manufacturiers au pied du mur, ça va les forcer à prendre des décisions », ajoute Audrey Champoux. Je suis d’accord.

Aucune entreprise ne voudra une affiche de la honte au-dessus de ses produits. Elles vont chercher et trouver des stratégies de contournement. Ça peut être un changement d’ingrédient qui réduit le coût de production. Ça s’est vu avec les pépites de chocolat blanc Chipits (Hershey) devenues des pépites de crème blanche bourrées d’huile de palme, comme je l’ai déjà écrit⁠1.

« On va changer les recettes, on va changer l’emballage, on va tenter de changer de nom, on va tenter de faire quelque chose de différent pour pouvoir réintroduire dans le marché le nouveau produit avec moins de volume », énumère Maryse Côté-Hamel, professeure en sciences de la consommation à l’Université Laval. L’autre solution pour maintenir les profits : imposer des hausses de prix graduelles.

Dans tous les cas, le consommateur ne sera pas plus avancé. En plus, les affiches pourraient avoir comme effet d’alimenter le cynisme et la frustration, en rappelant sans cesse aux clients qu’ils en ont moins pour leur argent.

Vivement la transparence, mais soyons conscients qu’elle pourrait avoir des conséquences fâcheuses.

1. Lisez l’article « Faux chocolat, véritable quête » Consultez la politique en vigueur en France dès le 1er juillet

Appel à tous

Pour quelles raisons aimeriez-vous, ou pas, que les supermarchés vous indiquent les cas de réduflation ? Quelle serait votre réaction devant un aliment que vous aimez, mais sur lequel une affichette « attention réduflation » est apposée ? Votre réponse pourrait être publiée.

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