Les nouvelles économiques ont beau être encourageantes, l’anxiété financière gagne du terrain dans les chaumières. Désormais, la moitié de la population du Québec (48 %) en ressent à un niveau modéré ou extrême. En incluant tous les degrés d’anxiété, la proportion bondit à 86 %. C’est beaucoup trop dans un pays censé offrir un niveau de vie adéquat.

Cette angoisse doit être prise au sérieux, car elle n’est pas sans conséquences. Elle affecte la santé mentale. Elle peut se traduire par des problèmes de sommeil et par un manque de concentration au boulot, deux effets souvent évoqués par les principaux intéressés.

Les problèmes d’argent favorisent aussi les querelles. Plus de la moitié (56 %) des personnes en mauvaise posture financière mentionnent que leur situation a provoqué un conflit familial ou des tensions dans les 14 jours ayant précédé l’enquête. Les données proviennent d’une étude réalisée par Léger pour Centraide du Grand Montréal auprès de 2002 adultes, en février. Les résultats seront dévoilés ce mardi.

On parle beaucoup, ces temps-ci, d’incivilités, d’impolitesses. Le peuple a la mèche plus courte. Il n’endure plus rien. Se pourrait-il que l’anxiété financière exacerbe le phénomène ? Je ne vois pas comment on peut rester zen quand on se demande si l’on sera capable de se loger le 1er juillet ou de remplir son frigo tout le mois.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Claude Pinard, PDG de Centraide du Grand Montréal

D’ailleurs, un organisme qui offre de l’aide alimentaire a embauché une intervenante en santé mentale pour donner des services à sa clientèle, m’a raconté Claude Pinard, PDG de Centraide du Grand Montréal. « On a des banques alimentaires qui, comme des couteaux suisses, ajoutent des compétences qui ne sont pas leurs compétences de base. On voit ça. »

Dans la dernière année, l’inflation a significativement ralenti, surtout dans les supermarchés. Le marché de l’emploi au Québec demeure plus vigoureux que dans les autres provinces, exception faite du Manitoba. Les taux d’intérêt devraient bientôt entamer leur descente.

Pourtant, depuis 18 mois, la proportion de Québécois vivant de l’anxiété financière a bondi de 6 points, passant de 42 % à 48 %. Cette hausse constante, dans un contexte économique relativement favorable, inquiète Claude Pinard, qui en voit les conséquences quotidiennement sur le terrain.

Léger nous apprend que les jeunes de 18 à 34 ans sont les plus touchés par l’anxiété (65 %). Tout ce qui concerne le logement les affecte. Pas moins de 56 % craignent d’être évincés. Parmi les 35-54 ans, 67 % s’inquiètent de ne jamais pouvoir accéder à la propriété.

On observe par ailleurs un écart majeur entre Montréal et Québec. Dans la métropole, 49 % de la population souffre d’anxiété financière, contre « seulement » 38 % dans la capitale, ce qui s’expliquerait par la composition de leur population respective.

Le même genre d’écart s’observe entre les femmes (50 %) et les hommes (41 %). Entre les parents (61 %) et les adultes sans enfants (42 %).

Bien entendu, l’anxiété est plus élevée dans les groupes qualifiés de « vulnérables », ce qui inclut les personnes racisées, les nouveaux arrivants, les sans-emploi, les personnes ayant une limitation fonctionnelle ou pas d’études postsecondaires, entre autres. « C’est de plus en plus difficile pour ceux qui sont à une bad luck d’être à la rue », constate Christian Bourque, vice-président exécutif chez Léger.

L’effet multiplicateur de la crise du logement est impitoyable.

Deux exemples parmi d’autres. Des femmes violentées n’arrivent pas à déménager, ce qui les plonge dans un stress insupportable. Ceux qui paient trop cher pour se loger ont besoin de dons pour se nourrir, soit pour la première fois de leur vie, soit plus tôt qu’avant, le 10 du mois au lieu du 25. « Avant, les banques alimentaires, c’était du dépannage, relate Claude Pinard. Maintenant ça fait partie de la stratégie pour nourrir la famille. »

Tandis que les organismes communautaires d’aide au logement et à l’alimentation peinent à suffire à la demande, les syndics autorisés en insolvabilité (SAI) sont plus occupés.

Dans les bureaux de Jean Fortin, le téléphone sonne davantage depuis janvier. « On entend beaucoup la panique des gens qui subissent l’impact du coût des loyers et de l’alimentation », constate le syndic Pierre Fortin. Les prêts auto complètent un trio qui pèse lourd sur les finances et provoque le surendettement.

« C’est clair que les gens ont plus de misère qu’avant », analyse Pierre Fortin.

Les microprêts de 1000 $ ou 1500 $ « à 100 % d’intérêt quand on inclut la commission » sont monnaie courante, observe le syndic, qui parle d’un « fléau ». Bien souvent, il y en a « quatre ou cinq » par dossier qu’il traite. Il voit aussi de plus en plus fréquemment des prêts plus substantiels (autour de 20 000 $) obtenus auprès de prêteurs privés non bancaires.

Le SAI Ronald Gagnon, de BDO Canada, s’étonne du recours accru aux microprêts, même parmi ceux qui ont un revenu tout à fait décent. « C’est une spirale sans fin, un puits sans fond. » Une mise en garde importante qui nous rappelle aussi que les règles concernant ce type de prêts auraient vite besoin d’être resserrées.