Plus de 40 années se sont écoulées depuis que les enfants nés hors mariage se sont vus reconnaître des droits équivalents à ceux dont les enfants issus de parents mariés bénéficient depuis toujours. Aujourd’hui, et fort heureusement, on ne parle plus d’enfants illégitimes ou naturels, mais d’enfants tout court dont les droits alimentaires et successoraux ne varient plus en fonction des circonstances de leur naissance.

Au-delà du principe égalitaire, une importante faille demeure toutefois en ce qui concerne la stabilité à laquelle tous les enfants devraient avoir droit au moment de l’éclatement de la cellule familiale.

Au Québec, les statistiques démontrent que plus de 60 % des enfants naissent hors mariage au sein d’unions qui s’assemblent et se fragmentent. Or, la séparation des parents non mariés n’est pas sans conséquence pour eux.

Plusieurs [enfants] se retrouveront sans toit, hébergés dans des ressources communautaires ou chez des membres de la famille avec le parent expulsé du domicile familial par celui qui en est le propriétaire ou locataire.

Le contentieux en droit de la famille est constitué principalement de ces unions démantelées. À titre d’avocate qui œuvre sur le terrain des familles depuis plusieurs années, c’est à ces enfants que je pense d’abord et avant tout en écrivant cette lettre. Je pense à ces petits qui subissent une décision qu’ils n’ont pas prise et à qui il faut garantir un toit dans les moments critiques qui précèdent ou qui suivent la séparation.

Entre deux pôles

Depuis le dépôt du projet de loi 56 instituant l’union parentale, on entend et on lit d’acerbes critiques en provenance de spécialistes qui en dénoncent la portée soi-disant minimaliste. Alors même qu’ils n’ont pas fait le choix de se marier, les conjoints de fait avec enfant, répètent-ils en chœur, devraient être mutuellement assujettis à l’ensemble des obligations qui relient les époux l’un à l’autre. À leur avis, le tribunal devrait pouvoir, au jour de la rupture, imposer à l’un d’eux la charge de verser une pension alimentaire à l’autre pour subvenir à ses besoins. Au surplus, ajoutent-ils, il conviendrait d’assujettir les conjoints de fait avec enfant à l’obligation de partager également les valeurs accumulées dans leurs régimes de retraite respectifs.

Au-delà de ce discours, un autre point de vue, complètement opposé, mais non moins légitime, se fait également entendre. Parmi les principaux intéressés que sont les conjoints de fait, plusieurs, dont des femmes, ressentent un malaise à l’idée qu’une loi vienne les soumettre à des obligations mutuelles auxquelles ils n’ont pas expressément consenti. À leurs dires, il ne revient pas à l’État de les marier de force.

Sans rien enlever aux spécialistes qui revendiquent une intervention législative qui réduirait à peu de chose l’autonomie décisionnelle des couples en union de fait, force est de constater que la plupart n’œuvrent pas sur le terrain ou exercent auprès d’une clientèle dont le profil socio-économique n’a rien de représentatif. En résulte une conception quelque peu tronquée de la réalité des familles.

Loin de constituer un bloc monolithique, les couples ne voient pas nécessairement les choses sous le même angle. La diversité de leurs aspirations nous impose le devoir d’agir avec retenue et humilité.

En d’autres termes, la cible à atteindre n’est pas à l’une ou l’autre des extrémités, mais au centre, précisément là où se trouve l’intérêt des enfants.

Le projet de loi 56 propose une approche pragmatique équilibrée de nature à rallier l’ensemble de la population. En vertu des modifications suggérées, les conjoints de fait qui auront ou adopteront un enfant à compter de juin 2025 devront partager également un patrimoine d’union parentale composé de la résidence principale, des meubles du ménage et des véhicules automobiles. Si l’un d’eux s’est appauvri en prenant en charge les enfants, l’autre pourrait être tenu de lui verser une prestation compensatoire à même l’enrichissement qu’il aura pu corrélativement accumuler. Sont également prévues des mesures destinées à éviter que le conjoint qui n’est pas le propriétaire ou le locataire de la résidence familiale se retrouve subitement à la rue avec les enfants, avant ou à la suite de la séparation.

Prenant appui sur les travaux du Comité consultatif sur le droit de la famille qui ont mené au dépôt du rapport Roy en 2015, le projet de loi 56 constitue une avancée majeure qui permettra d’assurer une plus grande stabilité aux enfants de l’union de fait. Je formule le souhait que les consultations publiques qui débutent le 30 avril se déroulent dans la sérénité.

L’initiative législative doit cheminer, et non pas dérailler. Si des ajustements s’avèrent éventuellement nécessaires, il sera toujours temps de les apporter à la lumière de l’expérience observée. Pour l’heure, ce n’est certainement pas en versant dans l’idéologie divisive qu’on fera progresser la cause des enfants. Sans mauvais jeux de mots, la dernière chose dont ils ont besoin, c’est qu’on jette le bébé avec l’eau du bain.

* Appuient les propos de l’auteure et partagent ses conclusions les personnes suivantes : MValérie Assouline, avocate ; MDanielle Beausoleil, notaire et médiatrice familiale ; MMarie-Ève Brown, notaire émérite et médiatrice familiale ; MMarie-Laurence Brunet, avocate ; MSarah Fortin, avocate ; MSuzanne Hotte, notaire émérite et médiatrice familiale ; MFrancis Langlois, notaire et médiateur familial ; MNathalie Michaud, avocate et médiatrice familiale ; MNancy Provencher, avocate ; MMalika Saher, avocate médiatrice (Fondation DJulien) ; MPascale Vallant, avocate

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