Le signal envoyé par les quelque 800 élues et élus municipaux démissionnaires depuis 2021 est clair : il se passe quelque chose dans nos municipalités et la situation est à ce point préoccupante que la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, a déposé le 10 avril dernier le projet de loi 57, « visant à protéger les élus et à favoriser l’exercice sans entraves de leurs fonctions ».

Soucieux de tout ce qui peut nourrir positivement notre culture démocratique, nous saluons la volonté de légiférer pour renforcer le climat de confiance entre les personnes élues et les citoyennes et citoyens.

Le projet de loi propose des solutions significatives pour faire cesser des situations inacceptables envers les personnes qui font vivre la démocratie au quotidien, pour mieux soutenir ces dernières dans leur rôle et pour valoriser leur fonction. Mais il y a lieu de travailler les nuances.

Que constitue « un trouble » lors d’un conseil municipal ? À partir de quand une mobilisation citoyenne concernant un enjeu, un projet ou une revendication passe-t-elle du dérangement à l’abus, et entrave-t-elle le travail d’une élue ou d’un élu ?

Sur qui repose le fardeau de la preuve ? L’interdiction par une cour de justice de communiquer avec une personne élue ou de se rendre à un conseil municipal est-elle irréversible ? Quelle entité sera suffisamment neutre et efficace pour se charger des arbitrages ou pour faire enquête ? Il ne peut pas s’agir du directeur général des élections tel que proposé dans le projet de loi. Celui-ci a bien montré en commission parlementaire que poursuivre ou museler les citoyennes et citoyens pourrait miner la confiance de la population à son égard.

À peine un mois après le dépôt du projet de loi, les parlementaires en terminent l’étude. Qui a été invité en commission parlementaire ? Principalement des acteurs municipaux, l’Union des municipalités du Québec (UMQ), la Fédération québécoise des municipalités (FQM) et des voix largement favorables au projet. Ces voix sont essentielles, mais ne représentent qu’une partie du tableau. Quelques réticences se sont exprimées, parmi elles la Ligue des droits et libertés (LDL) a soulevé un risque d’atteinte aux droits démocratiques. Des centrales syndicales pensent aussi que « des dispositions du projet de loi pourraient avoir pour effet de criminaliser la participation démocratique des citoyennes et citoyens et de porter atteinte à leur liberté d’expression⁠1 ».

Entendre la population

Comment peut-on se passer du point de vue de la population sur ce sujet ? Il est important d’interroger les citoyennes et citoyens sur ces nuances pour entendre leurs idées, questions et préoccupations. Malheureusement, la formule des commissions parlementaires s’y prête mal. Dépôt de mémoires, consultations particulières sur invitation, ce système ne permet pas à d’autres personnes que des représentants des institutions publiques et de la société civile organisée, soit des groupes détenant déjà du pouvoir et une parole dans l’espace public, de se faire entendre.

Or, le cœur du problème n’est-il pas lié au manque de confiance de toute une partie de la population envers nos institutions démocratiques et leurs représentantes et représentants ?

Si l’on veut prévenir l’effritement de l’attachement de la population à la démocratie, si l’on veut accroître la compréhension du travail de la classe politique, nous devons innover en matière de participation citoyenne aux travaux de l’Assemblée nationale et prévoir des moyens pour que des citoyennes et citoyens qui n’ont pas de rôle de représentation formel puissent s’exprimer dans le cadre de certaines commissions parlementaires.

Le Québec est en train de prendre du retard à cet égard, en comparaison avec l’Europe, notamment, qui expérimente différents modèles d’assemblées ou de commissions citoyennes, dont les membres sont tirés au sort, pour bonifier l’élaboration de projets de loi.

Le projet de loi 57 serait un excellent terrain pour lancer une telle expérimentation et nous éviter des angles morts collectifs.

1. Lisez l’article « Protection des élus : un projet de loi qui risque de “criminaliser la participation démocratique” » Lisez la lettre ouverte « Projet de loi 57 : une menace à l’action politique ? » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue