Les signataires s’adressent à la ministre des Affaires étrangères du Canada, Mélanie Joly

Madame,
Les signataires de la présente lettre font partie de la soixantaine d’organisations de la société civile qui vous ont écrit conjointement en février dernier pour demander l’arrêt des exportations d’armes vers Israël, conformément aux obligations internationales et nationales du Canada en matière de contrôle des armements.

Dans le contexte du conflit actuel à Gaza, nous saluons l’adoption par la Chambre des communes de la motion non contraignante du 18 mars demandant au Canada de cesser les transferts d’armes vers Israël. Cependant, nous souhaitons faire part de notre vive inquiétude quant à la mise en œuvre de cette politique, qui se limiterait à suspendre l’approbation de futures licences d’exportation d’armes vers Israël, et ne s’appliquerait pas aux transferts d’armes déjà approuvés.

La motion appelle explicitement le gouvernement canadien à cesser les futures autorisations d’exportation ainsi que les transferts précédemment approuvés, car ils présentent tous deux un risque substantiel d’entraîner de graves violations des droits de la personne.

Afin de s’assurer que les exportations d’armes précédemment autorisées par le Canada, dont celles des deux premiers mois du conflit totalisant près de 30 millions de dollars, ne contribuent pas à de tels abus, nous demandons instamment au gouvernement de mettre pleinement en œuvre toutes les mesures approuvées dans le cadre de la motion du 18 mars et de cesser tous les transferts d’armes vers Israël.

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Palestiniens récupérant ce qu’ils peuvent des ruines d’une école à Gaza, mercredi dernier

Après sept mois de combats qui ont fait près de 35 000 morts, dont beaucoup de femmes et d’enfants, ainsi que 78 000 blessés, il est plus important que jamais de répondre à l’appel du Conseil de sécurité des Nations unies en faveur d’un cessez-le-feu à Gaza. Le Canada a l’obligation de faire respecter la résolution du Conseil de sécurité, qui est contraignante pour tous les États membres de l’ONU en vertu de l’article 25 de la Charte des Nations unies. L’arrêt total des transferts d’armes aux parties en conflit, y compris à Israël, constituerait une étape importante pour instaurer les conditions d’un cessez-le-feu dans le conflit actuel.

Une plus grande transparence est primordiale

Malheureusement, la société civile canadienne et le grand public ont dû se fier aux médias pour comprendre la portée de la politique de suspension des nouveaux permis d’exportation d’armes vers Israël. Compte tenu de la gravité de la situation à Gaza, une plus grande transparence est primordiale. Nous demandons à Affaires mondiales Canada de préciser la portée de cette politique, dès que possible, au sein d’un avis aux exportateurs, et de rendre ce document publiquement accessible en ligne.

De plus, rien ne permet d’affirmer que la portée de la politique couvrira le transfert de composants militaires canadiens vers Israël via les États-Unis, pratique qui n’est ni régulée ni déclarée.

Par exemple, le chasseur F-35 Joint Strike Fighter, produit aux États-Unis et utilisé par Israël tout au long de sa campagne de bombardements à Gaza, compte des pièces fabriquées au Canada ; cette pratique se poursuivra dans le cadre de la politique actuellement proposée. Les frappes aériennes israéliennes sont à l’origine d’un nombre considérable de décès et de blessures graves parmi les civils, et ont notamment coûté la vie à un travailleur humanitaire canadien le 1er avril 2024, s’ajoutant aux plus de 250 travailleurs humanitaires tués depuis le début du conflit.

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Colonne de fumée suivant une frappe israélienne sur Rafah, dimanche

L’offensive militaire israélienne montre peu de signes de ralentissement malgré la pression et la consternation croissantes et généralisées de la communauté internationale face à la catastrophe qui se déroule à Gaza. Les observateurs humanitaires craignent depuis longtemps une offensive terrestre dans la ville de Rafah, une opération maintenant lancée par les forces israéliennes, qui ne fera qu’accroître le nombre de morts parmi les civils. De telles actions soulignent davantage la nécessité pour le Canada de cesser totalement ses transferts d’armes vers Israël, sans quoi il contribuera à cette crise humanitaire.

Madame la Ministre, tout en saluant l’adoption de la motion et la suspension des nouvelles autorisations d’exportation d’armes vers Israël, nous demandons instamment à votre gouvernement d’étendre cette politique à tous les transferts de matériel militaire vers Israël, y compris ceux dont l’exportation a été approuvée avant le 8 janvier 2024. Dans les circonstances actuelles, soit un risque de génocide tel qu’établi par la Cour internationale de justice, de graves violations du droit humanitaire international, y compris l’utilisation de la famine comme moyen de guerre ainsi que des attaques contre le personnel humanitaire, le fait de continuer à transférer des équipements militaires à Israël est inacceptable pour de nombreux Canadiens.

La suspension de tous les transferts serait cohérente avec le soutien déclaré du Canada à un cessez-le-feu et garantirait le respect du régime canadien de contrôle des armements.

* Cosignataires : Anne Delorme, directrice générale, Humanité & Inclusion Canada ; Usama Khan, PDG, Islamic Relief Canada ; Rick Cober Bauman, directeur exécutif, Mennonite Central Committee Canada ; Lauren Ravon, directrice exécutive, Oxfam Canada ; Béatrice Vaugrante, directrice générale, Oxfam-Québec ; Cesar Jaramillo, directeur exécutif, Project Ploughshares ; Peggy Mason, présidente, Institut Rideau ; Danny Glenwright, président et PDG, Aide à l’enfance Canada

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