Si elle devait donner un surnom à la société actuelle, la psychologue Pascale Brillon opterait pour « ego.com ». « On parle beaucoup de s’intéresser à soi, de prendre soin de soi, ce qui est très positif effectivement, mais on oublie que s’occuper de l’autre, ce n’est pas juste lourd. Ce n’est pas juste néfaste. Ça peut aussi être source de beaucoup de satisfaction », croit la professeure de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Elle constate depuis quelques années un « effritement de la gentillesse », valeur très prônée dans le Québec plus religieux d’autrefois, souligne-t-elle. On le voit sur les réseaux sociaux, où il se dit « des choses ignobles », sous le couvert – ou non – de l’anonymat. On en est témoin dans la vraie vie, où le stress lié à la pandémie a provoqué « une très grande irritabilité, un très grand sentiment d’isolement et une colère dans la population ». « Certains ont l’impression d’avoir perdu des habiletés sociales pendant ces années », indique Pascale Brillon.

Appel à la gentillesse

La psychologue spécialisée en stress post-traumatique, en deuil traumatique et en anxiété est convaincue que la société gagnerait à valoriser davantage la gentillesse. L’Association canadienne pour la santé mentale (ACSM) abonde dans le même sens.

Cette année, pour la Semaine nationale de la santé mentale, l’organisme lance « un appel à la gentillesse ». Il y a quelques mois, sa filiale montréalaise avait fait de même en menant une campagne régionale autour de ce thème. « On a fait une recherche dans la littérature pour voir ce qui fait partie de notre quotidien, qui ne demande pas trop d’efforts et qui est accessible à tous. On est tombé sur des études qui démontrent que la gentillesse, plus on la pratique, plus elle est bénéfique pour la santé mentale », explique Fanny Gravel-Patry, lorsqu’on la questionne sur l’initiative Je pratique la gentillesse, lancée par l’organisme en novembre dernier.

On se doute bien qu’être le destinataire d’un geste gentil fait du bien, mais le faire apporte également son lot de bienfaits. « La gentillesse va diminuer le stress, augmenter notre niveau de bonheur, augmenter notre estime de soi », énumère Fanny Gravel-Patry, conseillère en promotion de la santé mentale à l’ACSM Filiale de Montréal.

« Les gens ont l’impression que ça donne un sens à leur existence, ça aussi, c’est quelque chose de très positif », fait valoir, pour sa part, Pascale Brillon.

« Ils ont même la perception que le monde en général est plus bienveillant quand eux-mêmes ont posé des gestes de gentillesse », ajoute-t-elle, en spécifiant qu’une vision positive de la société favorise une « santé mentale plus sereine ».

Généreux et heureux

Lara Aknin, professeure de psychologie à l’Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique, connaît bien les bienfaits de faire des gestes de gentillesse. Directrice du Helping and Happiness Lab, elle s’intéresse particulièrement à la générosité financière.

Dans l’une des nombreuses études menées par son équipe, les participants, divisés aléatoirement en quatre groupes, avaient 5 $ ou 20 $ pour offrir quelque chose à autrui ou à eux-mêmes. « Les gens qui devaient dépenser de l’argent pour quelqu’un d’autre étaient plus heureux à la fin de la journée », indique la professeure. Elle qualifie ces bénéfices émotionnels de « boost de bonheur », puisqu’ils ont été observés à court terme. Toutefois, si faire des gestes gentils devient une habitude, « il est possible que cela améliore le bonheur en général », croit-elle.

Est-ce que la valeur du don influence la joie ressentie ? « Dans la vraie vie, quand les gens utilisent leur propre argent, on voit que plus ils donnent, plus ils disent se sentir heureux », répond Lara Aknin. Or, « c’est difficile de dire si les gens heureux sont plus généreux ou bien si c’est la générosité qui rend les gens heureux », souligne-t-elle. Pour éclaircir la question, il faudrait faire une expérimentation, pense-t-elle. À travers une autre étude, son équipe a toutefois démontré que « même lorsqu’on donne l’équivalent d’à peine 2,50 $, on peut ressentir des bénéfices émotionnels à court terme ».

Les petits gestes comptent

À l’Université du Sussex, au Royaume-Uni, la chercheuse canadienne Gillian Sandstrom fait partie de l’équipe qui a contribué au Kindness Test, importante étude sur la gentillesse réalisée en 2021 à laquelle ont répondu 60 000 participants provenant de 144 pays et dont les résultats ont fait l’objet d’une balado de la BBC.

Chaque répondant devait notamment indiquer le dernier geste de gentillesse dont il avait bénéficié. La plupart d’entre eux étaient très simples : un sourire, un compliment, un remerciement, de l’aide pour transporter un sac d’épicerie... « Tous ces petits gestes peuvent faire une grande différence », est convaincue la chercheuse en psychologie, dont l’expertise se concentre beaucoup sur les interactions avec des inconnus.

« Chaque fois qu’on fait quelque chose qui montre à une personne qu’on la voit comme être humain, c’est un geste de gentillesse et ça fait du bien », est-elle persuadée.

Entre craintes et hésitations

Si les petits gestes de gentillesse ont des effets positifs sur celui qui les fait et celui qui les reçoit, pourquoi n’en fait-on pas plus souvent ?

Dans le Kindness Test, on a demandé aux gens quelles étaient les barrières qui les retenaient de poser un geste gentil. La réponse la plus fréquente, c’est qu’ils craignaient que leur geste soit mal interprété.

Gillian Sandstrom, chercheuse canadienne à l’Université du Sussex, au Royaume-Uni

Par exemple, apporter un café à son patron pourrait être perçu par certains comme une attention faite dans le but d’obtenir une promotion. « Des hommes m’ont aussi dit qu’ils ne voulaient plus tenir la porte à une femme parce qu’elle pourrait mal le prendre », raconte-t-elle.

À ceux qui hésitent à faire preuve de gentillesse à cause de l’interprétation des autres, elle souhaite leur dire : « Les gens peuvent voir la bonne intention derrière le geste. Ça vaut la peine d’être gentil. »

Pour parler de l’importance que devrait avoir la gentillesse dans nos rapports sociaux, Pascale Brillon propose d’utiliser l’image d’un mur. « On est tous des briques. Pour tenir le mur, il faut du mortier. Le mortier, c’est la gentillesse. »

Consultez le site de l’Association canadienne pour la santé mentale Écoutez l’émission balado de la BBC The Anatomy of Kindness (en anglais)

Appel à tous ?

Quels sont les plus beaux gestes de gentillesse que vous avez reçus ? Lesquels avez-vous faits ? Comment vous êtes-vous sentis par la suite ? La Presse souhaite connaître vos histoires.

Écrivez-nous
En savoir plus
  • 43 %
    Proportion des répondants au Kindness Test qui ont dit avoir reçu un geste de gentillesse dans les 24 dernières heures
    Source : The Kindness Test, Université du Sussex
    72 %
    Proportion de Nord-Américains, sondés en 2021, qui ont déclaré avoir aidé un inconnu dans le dernier mois.
    Source : Enquête mondiale World Risk Poll 2021 de la fondation Lloyd’s Register et de la firme Gallup
  • 15e
    Rang occupé par le Canada dans la liste des pays les plus généreux du monde, en 2018. L’enquête, menée dans 146 pays auprès de plus de 150 000 répondants, s’intéressait au bénévolat, aux dons et à l’aide apportée à des inconnus. Les trois pays avec les gens les plus généreux étaient l’Indonésie, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
    Source : Gallup