Un an après s’être fait dérober près de 814 000 $ l’an dernier à la suite d’une fraude classique par courriel, Groupe Juste pour rire (JPR) commence enfin à récupérer son argent – un processus qui a mis la table à un litige entre le géant de l’humour et ses avocats.

Un premier recouvrement de 352 224 $ a eu lieu en mars dernier, révèle le plus récent rapport du syndic Christian Bourque, de la firme PwC. Ce dernier supervise le processus de vente de l’entreprise, qui bénéficie toujours de la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC).

Cependant, une somme avoisinant les 66 000 $ a été retranchée du versement par Blakes, le cabinet d’avocats responsable du dossier pour JPR, à titre d’« honoraires impayés » depuis octobre dernier. Selon le contrôleur, Blakes n’avait pas droit à cette « compensation » puisque JPR est insolvable et à l’abri de ses créanciers.

Le cabinet d’avocats ne voit pas les choses du même œil. Il affirme avoir récupéré l’argent le 4 mars dernier, avant que le spécialiste de l’humour ne dépose son bilan. Blakes refuse de retourner cette somme à PwC.

« Des discussions sont toujours en cours quant à cette compensation », écrit M. Bourque dans son rapport.

La Presse a récemment levé le voile sur la fraude ayant fait perdre des centaines de milliers de dollars à JPR de février à avril 20231. Le subterfuge utilisé repose sur l’usurpation du courriel d’un dirigeant, d’un gestionnaire ou d’un fournisseur clé d’une entreprise.

Dans le cas du géant déchu de l’humour, le fraudeur inconnu a imité les courriels d’employés de L’Équipe Spectra et du Groupe CH (spoofing, en anglais). JPR sous-traitait des services de gestion à Spectra et evenko. Ces deux entreprises sont contrôlées par le Groupe CH.

Le stratagème a mis la table à trois versements, qui ont totalisé 813 657 $, aux fraudeurs.

« La fraude, commise en imitant les adresses courriel de certains employés d’un fournisseur connu du groupe, avait dirigé les fonds vers des comptes bancaires de la Banque TD », souligne M. Bourque.

JPR a découvert le pot aux roses en mai 2023 lorsque le Groupe CH lui a demandé si ses frais de gestion – en retard d’un mois – seraient bientôt versés.

Poignée de finalistes

Lundi, M. Bourque se présentera devant le juge David R. Collier, de la Cour supérieure du Québec, afin de demander une prolongation, jusqu’au 31 mai, de la période où JPR pourra bénéficier de la protection de la LACC. Ce délai permettra, selon le contrôleur, de conclure la vente du groupe insolvable et de « maximiser la valeur » d’autres actifs. Le siège social de JPR, situé sur le boulevard Saint-Laurent, doit également être vendu dans le cadre du processus.

Le rapport du contrôleur n’entre pas dans les détails de la vente du groupe. Pas moins de 15 repreneurs potentiels ont signé des ententes de confidentialité depuis le début du mois de mars pour avoir accès aux livres de JPR. Auparavant, PwC avait pris contact avec près de 130 acheteurs potentiels.

Le 15 avril dernier, après avoir analysé « différentes » propositions, la firme a communiqué « à un certain nombre de soumissionnaires » qu’ils passaient à l’étape suivante, explique le rapport. Le document ne précise pas le nombre de finalistes. Ces derniers ont jusqu’au 6 mai prochain pour soumettre une offre « définitive et contraignante » pour JPR.

« Plusieurs rencontres d’informations ont été organisées entre PwC, les représentants [de JPR] et les soumissionnaires », précise le contrôleur.

JPR a accumulé des pertes d’environ 12 millions depuis qu’il appartient à Bell (26 %), Groupe CH (25 %) et Creative Artist Agency (49 %). En 2018, ceux-ci avaient racheté l’entreprise des mains du fondateur et ex-président Gilbert Rozon, qui était éclaboussé par des accusations d’inconduite sexuelle. Il a depuis été acquitté des accusations criminelles dont il faisait l’objet.

Dans une entrevue accordée à La Presse, sa première depuis la débâcle de JPR, M. Rozon a fustigé les trois actionnaires du groupe qui, à son avis, ont abandonné le spécialiste de l’humour malgré leurs moyens financiers « quasi illimités »2.

Avec la collaboration d’Hugo Joncas, La Presse

1. Lisez « Juste pour rire victime d’une fraude par courriel » 2. Lisez « Gilbert Rozon fustige les actionnaires »