Dans L’argent et le bonheur, notre journaliste Nicolas Bérubé offre chaque dimanche ses réflexions sur l’enrichissement. Ses textes sont envoyés en infolettre le lendemain.

Il y a plusieurs années, un homme de 30 ans s’est avancé au micro durant la période des questions de l’assemblée annuelle des actionnaires de l’entreprise Berkshire Hathaway. D’une voix qui masquait mal sa nervosité de parler devant 40 000 personnes, il a posé une question à Warren Buffett et Charlie Munger.

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« Si vous aviez 30 ans de nouveau, et votre premier million en banque, comment l’investiriez-vous ? a-t-il demandé aux deux milliardaires. En supposant que vous n’êtes pas un investisseur professionnel, que vous avez un emploi à temps plein, que vous avez un fonds d’urgence pour couvrir vos dépenses pendant 18 mois, que vous n’avez pas d’enfants... Pouvez-vous être aussi précis que possible sur la façon de l’investir ? »

Warren Buffett a répondu : « En fonction des conditions que vous énoncez, j’investirais dans un fonds indiciel [d’actions américaines] à frais de gestion modiques offert par une entreprise fiable, possiblement Vanguard [...]. Un fonds qui vous donnera un rendement parfaitement décent sur une période de 30 ou 40 ans. Et puis je l’oublierais, et je retournerais travailler. »

Cet échange a eu lieu le samedi 3 mai 2008. Si on l’avait mis en application dès l’ouverture des marchés le lundi suivant en achetant un fonds indiciel qui suit le plus important indice boursier aux États-Unis, le S&P 500, quel serait le rendement ?

Après bientôt 16 ans, notre million vaudrait aujourd’hui 5 200 000 $, pour un rendement composé annualisé de 10,85 %.

Quelques observations.

1) C’était un bon conseil.

2) À court terme, ça a dû sembler être un très mauvais conseil. Entre mai 2008 et février 2009, ce placement a perdu 46 % de sa valeur. Au bout de neuf mois à peine, le million ne valait plus que 544 000 $. La majorité des gens aurait sans doute conclu à un échec, et vendu en panique.

3) L’homme, Tim Ferris, a suivi le conseil de Buffett, mais pas à 100 %. Il a mis la majorité de son million dans un fonds indiciel, mais en a gardé une partie pour investir dans diverses entreprises en formation.

4) Ça doit être agréable d’avoir 1 million à investir à 30 ans. Pour la petite histoire, Tim Ferris avait fondé à 24 ans une entreprise de suppléments nutritionnels. Il est aussi l’auteur du mégasuccès de vente en librairie La semaine de 4 heures.

Je repensais à ce conseil récemment, car l’assemblée annuelle de Berkshire Hathaway se tiendra dans quelques jours, durant la fin de semaine du 4 mai, à Omaha, au Nebraska.

Et je me posais la question : aujourd’hui, est-ce que le conseil de Warren Buffett tient toujours ?

Buffett ne l’a pas exprimé dans ces termes, mais il a écrit dans sa plus récente lettre annuelle :

Je ne me souviens pas d’une période, depuis le 11 mars 1942 – date de mon premier achat d’actions – où je n’ai pas eu la majorité de mon patrimoine en actions américaines [...]. L’Amérique a été un pays formidable pour les investisseurs. Tout ce qu’ils ont eu à faire, c’est de rester assis tranquillement et de n’écouter [aucun prévisionniste économique].

Warren Buffett

Le conseil de Warren Buffett a été donné à un Américain. Comment peut-on l’adapter pour un Canadien de 30 ans qui aurait 1 million (ou 10 000 $, 50 000 $, ou 100 000 $, le montant n’a pas d’importance) à investir ?

Voici comment j’investirais 1 million à long terme aujourd’hui si j’avais 30 ans. Pour les fins de l’exercice, imaginons que l’argent est investi dans un compte de placement non enregistré. Aussi, prenez tout ça avec un grain de sel. Aucun rendement n’est assuré. Bref, on jase.

1) Je placerais mon million dans le fonds Vanguard Portefeuille FNB d’actions (VEQT).

2) Et puis je l’oublierais, et je retournerais travailler.

C’est tout ?

C’est tout.

En surface, cet investissement peut sembler trop simple pour être idéal. En matière de placement, on croit souvent qu’il faut faire compliqué pour que ça ait des chances de fonctionner.

Or, comme le recommande Warren Buffett, ce fonds est bien diversifié. Il contient les actions de 13 514 entreprises réparties dans 51 pays dans le monde, et est pondéré de cette façon :

Actions canadiennes : 29,1 %

Actions américaines : 45,7 %

Actions internationales marchés développés : 18,6 %

Actions internationales marchés émergents : 6,6 %

Les allocations sont maintenues par un rééquilibrage automatique. C’est-à-dire que Vanguard, la firme qui gère le fonds, vend périodiquement une partie des actions qui sont en hausse, et achète celles qui sont en baisse. Ce faisant, elle s’assure de ne pas laisser certaines actions dominer complètement le fonds.

Ce fonds est composé à 100 % d’actions. Quel est le rendement des actions ? Étonnamment, il a été assez constant à travers les siècles : il fluctue entre 4 et 5 % de plus que l’inflation par année en moyenne, a noté l’an dernier William Goetzmann, professeur à l’école de commerce de l’Université Yale, au micro de l’émission balado financière Rational Reminder. M. Goetzmann a entre autres étudié les états financiers d’entreprises fondées à Toulouse en 1372 et 1373, et qui ont survécu jusque dans les années 1940. Cela donne entre 7 et 8 % de rendement par année en moyenne avant inflation.

Consultez l’émission balado financière (en anglais)

Un portefeuille qui contient à la fois des actions et des obligations est mieux adapté pour 99 % des investisseurs. Mais, bon, comme Warren Buffett, je me fais plaisir dans cet exercice, et j’émets l’hypothèse que mon fonds idéal est détenu pendant plusieurs décennies par un investisseur au comportement idéal, c’est-à-dire qui ignore les hausses et les baisses du marché.

Pour une personne incertaine de pouvoir vivre avec les inévitables fluctuations (des chutes de 10 % se produisent chaque année, et tôt ou tard, un krach de 50 % est une certitude), des versions moins volatiles du fonds, avec des rendements espérés moins élevés, sont disponibles. Il s’agit du portefeuille FNB de croissance (VGRO), qui comprend 20 % d’obligations, et du portefeuille FNB équilibré (VBAL), avec 40 % d’obligations.

Côté frais de gestion, Warren Buffett recommande de rechercher des « frais modiques », car, tout comme les mauvais comportements d’investisseurs, les frais nuisent au rendement. Mon fonds me coûterait annuellement 0,24 % de la taille totale du placement. À cela, on devrait ajouter 0,01 % en retenues d’impôt irrécupérables sur les dividendes payés par des sociétés étrangères contenues dans le fonds, selon les calculs de Justin Bender, de PWL Capital.

Donc on parle de frais annuels de 0,25 %, soit 2500 $ la première année pour 1 million de dollars. C’est une fraction de ce que l’industrie de la gestion d’actifs exigerait pour gérer mon million, et qui pourrait aller de 10 000 $ à possiblement 20 000 $ par année – mais j’aurais alors droit à de l’accompagnement dans les chutes, des conseils, et peut-être aussi à une paire de billets pour aller voir le Canadien de temps en temps... Tout a un prix dans la vie.

Pourquoi ne pas faire comme le suggère Warren Buffett et tout simplement investir dans le S&P 500 ?

Ce n’est pas idéal d’avoir tous ses placements dans une devise étrangère : on vit au Canada, on fait notre épicerie en dollars canadiens, alors c’est souhaitable d’avoir une partie de nos placements dans notre économie et notre devise.

Aussi, une récente étude de l’Université de l’Arizona a montré que le portefeuille optimal pour un investisseur d’un petit pays (financièrement parlant) comme le Canada a historiquement été d’avoir environ le tiers de ses placements en actions du marché domestique, et le reste à l’international. Les fonds VEQT, VGRO et VBAL suivent cette orientation.

Lisez « Un portefeuille 100 % actions ? OK, mais… »

Cet exercice est agréable à faire. Mais, comme je le disais plus haut, peu importe le fonds, si un investisseur ne contrôle pas ses émotions, et s’il n’est pas patient dans les chutes qui peuvent facilement durer des années, il n’obtiendra pas les rendements généreux offerts par le marché depuis des générations. C’est aussi nono que ça.

La partie la plus précieuse du conseil de Warren Buffett ?

C’est lorsqu’il dit : « Et puis je l’oublierais, et je retournerais travailler. »

Si facile à dire. Si difficile à faire.