Dans L’argent et le bonheur, notre journaliste Nicolas Bérubé offre chaque dimanche ses réflexions sur l’enrichissement. Ses textes sont envoyés en infolettre le lendemain.

Valérie Plante s’est fait critiquer cette semaine lorsqu’elle a dit que c’était possible d’élever deux enfants à Montréal sans posséder de voiture.

Je ne sais pas pour deux enfants. Mais en tant que parent d’une famille sans voiture d’un enfant pas mal occupé, je peux affirmer que c’est possible de renoncer à posséder un véhicule motorisé. Il faut planifier, utiliser les muscles de ses jambes (marche, vélo), recourir aux transports en commun et à Communauto quand on n’a pas le choix, c’est-à-dire souvent quand on est parent d’un futur Cole Caufield ou d’un futur Kylian Mbappé.

Environ 30 % des ménages montréalais ne possèdent pas de voiture, un taux qui dépasse les 50 % dans les quartiers centraux, qui comptent d’ailleurs parmi les plus denses en Occident (Ville-Marie, où résident 89 000 personnes, a une plus grande densité de population qu’Amsterdam ou Berlin).

Non, une vie sans auto n’est pas possible ou souhaitable pour tout le monde. Oui, les gens qui habitent à 72 kilomètres de leur lieu de travail ont besoin d’un véhicule. Et si je déménageais en banlieue, en région ou dans un endroit sans transports en commun fiables ni Communauto, je m’achèterais une « machine à paresse » avant même d’avoir déposé mes boîtes.

Au-delà des choix, j’essaie surtout de voir la possession d’un véhicule pour ce qu’elle est : un suicide financier pour une minorité et une machine à incinérer de la richesse et à ajouter des années au boulot pour une majorité.

Ou, dans l’expression plus imagée d’Alexandre Leblond : « Ta retraite est dans ton driveway. »

Planificateur financier, conseiller en sécurité financière chez Livsta et chroniqueur économique à la station BLVD 102,1 de Québec, Alexandre Leblond avait donné ce titre à un livre qu’il avait commencé à écrire à l’université.

« Mais j’ai laissé tomber quand j’ai réalisé que personne ne voudrait lire ça... »

Dans son bureau avec ses clients, Alexandre Leblond doit souvent aborder des sujets tabous, comme le décès, la succession ou la séparation.

« Ça se passe bien, dit-il. Mais la minute qu’on aborde la question du prêt auto, certaines personnes sont sur la défensive. Elles se sentent attaquées. “Il faut que je transporte ma poche de hockey !” Il n’y a aucune nuance. »

Au fil de ces rencontres, il a réalisé qu’avant d’être « utilitaire », un véhicule est d’abord « identitaire ».

« L’industrie automobile est tellement bonne. Le concessionnaire t’appelle, tu arrives, ils te préparent un café, le véhicule est isolé, dans une pièce, avec un ruban. Ils te remettent les clés... C’est comme une cérémonie dans Game of Thrones, mais pour célébrer le fait qu’on vient de t’endetter de dizaines de milliers de dollars. Tu ne peux pas blâmer les gens de tomber là-dedans. »

S’il brûlait 5 ou 6 % de notre chèque de paie, ce petit jeu de positionnement social serait sans conséquence. Mais les frais liés à l’achat et à l’utilisation d’un ou de plusieurs véhicules motorisés sont la dépense la plus élevée d’un ménage après l’habitation.

Selon J. D. Power Canada, le paiement mensuel pour un véhicule neuf est de 880 $ en moyenne. Et plus de 30 % des gens qui ont un prêt auto paient plus de 1000 $ par mois.

Le véhicule neuf moyen au Québec valait plus de 64 000 $ en 2023, alors que le revenu moyen après impôts tournait autour de 42 000 $, constate M. Leblond.

« Concrètement, ça veut dire que pendant un an et demi, tu te lèves chaque matin, tu vas travailler, et la seule chose que tu paies, jour après jour, c’est ton char. Pas tes assurances. Pas ton essence. Pas les intérêts. Pas ta maison. Pas les études de tes enfants. Ton char, qui ne produit rien, et qui est stationné à ne rien faire 95 % du temps. »

Quant aux véhicules luxueux, la science est claire : contrairement aux attentes, les gens qui les conduisent ne tirent pas plus de plaisir de leur expérience que les gens qui conduisent un véhicule ordinaire.

Consultez l’article du Michigan News (en anglais)

Coût de renonciation

La plupart des gens savent qu’il ne faut pas tout dépenser pour une voiture. Mais l’effet à long terme d’une décision financière, souvent appelé coût de renonciation, n’est pas familier à bon nombre d’entre eux.

Les gens croient que leur véhicule leur coûte 600 ou 700 $ par mois. Dans les faits, il leur coûte les centaines de milliers de dollars qu’ils n’auront pas dans 10, 20 ou 30 ans parce qu’ils n’ont pas investi cet argent-là.

Alexandre Leblond

Une somme de 700 $ par mois donne près de 600 000 $ au bout de trois décennies lorsqu’on émet l’hypothèse d’un rendement annuel de 5 %. Un montant qui pourrait changer la vie d’un travailleur et lui permettre d’être libre financièrement des années avant l’âge habituel de la retraite.

Personnellement, comme je l’ai déjà expliqué ici, plus de 110 000 $ de l’argent qui se trouve dans mon CELI sont attribuables au fait de ne pas posséder de voiture depuis une décennie. Cette habitude pourrait à elle seule être responsable de 1 million de dollars dans mon compte dans moins de 20 ans.

Lisez l’article « Comment devenir millionnaire grâce à Communauto »

Mon truc ? Il n’y a pas de truc. J’ai tout simplement investi chaque année la différence entre ce que je paie pour me déplacer et ce que me coûteraient l’achat et l’entretien d’un véhicule motorisé.

Résidants de Limoilou, à Québec, Alexandre Leblond et sa conjointe se déplacent à bord d’une Hyundai Accent 2016 achetée comptant. « Je vais travailler à pied, en autobus, à vélo électrique. J’essaie d’appliquer ce que je prêche », dit-il.

La distance qui le sépare du travail est inférieure à la moyenne canadienne de 8,7 km dans chaque direction – une distance qui est assez courte pour être franchie à vélo ou à vélo électrique par bien des gens au moins une partie de l’année.

Ses réalisations au sujet du vrai coût d’un véhicule lui viennent de son père, qui a fait carrière comme syndic autorisé en insolvabilité (SAI).

« Des gens qui ont des paiements de 2000 $ par mois sur une camionnette F-150 et qui sont incapables d’arriver, mon père en a vu beaucoup dans sa carrière », dit-il.

Le véhicule que conduit son père ? Une Honda Fit avec 405 000 kilomètres au compteur.

« Son choix de véhicule est l’une des raisons qui expliquent qu’il peut faire ce qu’il veut dans la vie. Il est libre, car il a placé son argent au lieu de s’acheter des voitures. »

M. Leblond n’oblige personne à suivre ses conseils. Il estime que son rôle est de donner les chiffres, et de laisser les gens choisir.

« S’il te faut réellement une camionnette, une option est d’acheter une Dodge Ram 2005 et de passer à autre chose. Ou loue-toi une camionnette sur Turo quand tu en as besoin. Mais les gens ne veulent pas, car ils bâtissent leur identité autour d’un véhicule. Certaines personnes mettent même leur véhicule comme photo de profil sur les réseaux sociaux. Ça va loin ! »

Il y a quelques mois, une enquête du cabinet Deloitte a révélé que 86 % des Canadiens âgés de 50 à 64 ans risquent de manquer d’argent à la retraite et devraient se priver après avoir cessé de travailler.

Pourquoi ? Pas besoin de chercher bien loin. Ta retraite est dans ton driveway.