Dans l’infolettre L’argent et le bonheur, envoyée par courriel le mardi, notre journaliste Nicolas Bérubé offre des réflexions sur l’enrichissement, la psychologie des investisseurs, la prise de décisions financières. Ses textes sont repris ici le dimanche.

J’évite de parler de mes propres finances dans cette rubrique, pour des raisons évidentes (risques d’enlèvement, demandes en mariage, etc.). Mais je fais une exception cette semaine pour dire que 96 000 $ de l’argent qui se trouve dans mon compte CELI est attribuable à une entreprise : Communauto.

Cette somme peut paraître élevée, mais elle est en fait minuscule : ma famille pourrait avoir accumulé 1 million de dollars rien qu’avec Communauto d’ici 20 ans.

Avant de vous expliquer comment c’est possible, une précision : cette rubrique risque de passer au-dessus de la tête de bien du monde. Si vous n’habitez pas à Montréal, Québec, Trois-Rivières, Gatineau, Sherbrooke, ou dans l’une de neuf villes en Ontario où le service est offert, vous n’avez pas accès à Communauto.

Par ailleurs, si vous y habitez mais travaillez loin de la maison, devez conduire plusieurs enfants à plusieurs écoles ou entraînements sportifs chaque jour, vous avez sans doute besoin d’une auto à vous seul.

Je ne suis pas un intégriste de l’autopartage. Chacun mène sa vie comme il l’entend. Mais ce système m’a enrichi, et je pense que des dizaines de milliers d’autres personnes pourraient en bénéficier.

Alors, comment est-ce que j’en suis arrivé à mon chiffre de 96 000 $ ? Et à celui de 1 million ?

Il y a une décennie, quand la chanson Get Lucky, de Daft Punk, venait d’être lancée, que Pauline Marois était première ministre du Québec et que la province se remettait des grèves étudiantes des carrés rouges, nous sommes revenus de Los Angeles avec un nouveau-né pour nous établir à Montréal.

Par réflexe, nous nous sommes dit que la vie sans posséder de véhicule était impossible.

Prendre le métro pour aller travailler est une chose. Mais comment se rendre à un rendez-vous médical sans voiture ? Aux activités ? Aux fêtes d’amis ? Chez les grands-parents à l’extérieur de la ville ?

Nous avons fait comme beaucoup de nouveaux parents et avons acheté une voiture.

Or, au fil des mois, nous avons réalisé que : 1) nous avons deux jambes ; 2) nous avons des vélos ; 3) les nouveau-nés et les enfants sont admis dans les autobus et le métro (c’est fou, je sais) ; 4) Uber existe.

Notre voiture pouvait passer des jours immobile dans la rue devant la maison à ne rien faire – ce n’est pas unique : l’automobile moyenne est inutilisée 95 % du temps. Nous avons finalement décidé de la vendre et de nous abonner à Communauto.

Comment c’est, Communauto ? C’est comme la possession d’une voiture : ça a ses bons et ses mauvais côtés.

Côtés négatifs : l’entreprise est victime de son succès et il est parfois difficile de trouver une voiture la fin de semaine, l’intérieur des voitures n’est pas toujours super propre (gobelet de café vide, miettes de muffin, etc.), et c’est parfois long de joindre un représentant du service à la clientèle au téléphone.

En bientôt 10 ans, jamais je n’ai dû annuler un déplacement par manque de voiture. Mais j’ai dû ramer parfois. Faire un jogging de 3 kilomètres pour aller récupérer une voiture dans un quartier voisin, prendre un BIXI pour me rendre à la voiture la plus proche font partie de mes faits de guerre.

Et puis, je ne vais pas le nier, rouler en Kia ou en Toyota grise avec un gros logo vert sur la portière est pas mal moins cool que de rouler en Jeep ou en Tesla. Je n’y accorde pas d’importance, mais je réalise que ce n’est pas au goût de tout le monde.

Côté bénéfices : totale tranquillité d’esprit en ce qui concerne les coûts (l’essence et l’assurance sont incluses dans le prix), pas besoin de gérer l’entretien, les changements de pneus, ou encore le déneigement et le pelletage pour « changer de bord de rue » l’hiver... Et on paye à l’utilisation : zéro utilisation, zéro facture.

J’ai aussi remarqué que ne pas posséder de voiture nous évite de l’utiliser par paresse, par exemple pour aller au parc un peu loin, alors qu’il est accessible à pied, à vélo ou en autobus. Communauto estime que l’autopartage entraîne une réduction d’environ 30 % à 40 % des kilomètres parcourus.

Donc il y a cet effet coup de pied au derrière qui nous force à être plus actifs que nous ne le serions si nous avions une voiture à notre disposition 24 heures sur 24, effet qui nous pousse aussi à organiser du covoiturage à tour de rôle avec d’autres parents pour les rencontres sportives. Moins de déplacements en auto veut dire moins d’émissions de gaz à effet de serre, moins de bruit et de poussière, moins de danger pour les citoyens dans les rues, et aussi moins de dépenses pour l’ensemble des contribuables, qui subventionnent l’entretien des routes et le déneigement des voies publiques réservées par la Ville aux propriétaires d’automobile pour entreposer leur véhicule quand ils n’en ont pas besoin. Bref, tout le monde est gagnant.

Sans compter, bien sûr, les gains financiers.

Le ménage montréalais typique qui possède une voiture (30 % n’en possèdent pas, un taux qui dépasse 50 % dans les quartiers centraux) a dépensé 9500 $ en transport automobile privé en moyenne par année au cours des six dernières années, selon la Ville de Montréal, somme qui inclut la dépréciation, le fonctionnement et l’entretien.

De notre côté, ça a tourné autour de 3000 $ en moyenne, y compris une location d’un mois durant l’été.

En laissant un jeu prudent de 1000 $ par année pour les Uber, taxis et autres, je prends la différence de 5500 $ et je l’investis annuellement dans mon compte d’épargne libre d’impôt (CELI).

J’ai placé cet argent selon la formule 50-50 dans des fonds négociés en Bourse (FNB) qui suivent les marchés canadiens et américains. Les fonds que j’ai achetés sont les fonds Vanguard FNB indiciel FTSE Canada toutes capitalisations (VCN) et Vanguard FNB indiciel S&P 500 (VFV). Les frais de gestion annuels totaux de ces fonds sont de 0,05 % et de 0,09 %, respectivement.

De 2013 à 2023, ce portefeuille a connu une croissance moyenne de 10 % par année. La chute la plus importante a été de 32 % au début de 2020, chute malheureusement résorbée en août de la même année – j’aurais aimé que les soldes durent plus longtemps, mais ça ne s’est pas produit.

Donc nos 5500 $ épargnés et investis chaque année grâce à l’autopartage sont aujourd’hui devenus 96 000 $. Vu autrement, ce service nous a permis d’accumuler l’équivalent du prix d’achat de deux Tesla Model 3 en 10 ans.

Et si notre épargne et nos rendements devaient se poursuivre (aucunement assuré, mais la Bourse a connu des rendements annuels moyens d’environ 10 % depuis plusieurs générations déjà), nous en serions à près de 350 000 $ dans le CELI dans une décennie. L’équivalent de huit Tesla Model 3.

Dans 20 ans, 1 million de dollars attribuables à nos économies en transport pourraient se multiplier à l’abri de l’impôt dans notre compte d’investissement. Millionnaires, rien qu’avec Communauto.

Comprenez-vous pourquoi le logo vert sur la portière ne me dérange pas vraiment ?

La semaine dernière, je vous parlais de day trading. Vous avez été nombreux à réagir.

Rodrigue écrit : « J’investis à la Bourse depuis 50 ans et je n’ai jamais rencontré un day trader qui gagne de l’argent. En 2018, je me suis offert un cours de 7500 $, tout à fait inutile. »

Pierre écrit : « J’ai fait du day trading pendant deux ans à temps plein. Je louais un bureau à Montréal avec une quarantaine d’autres gars. J’ai perdu de l’argent... Il y a longtemps, un vieux sage m’avait dit : “Si tu veux savoir où tu seras dans 10 ans, regarde quelqu’un qui a fait la même chose que toi il y a 10 ans...” »

Alain écrit : « Le day trading et les transactions fréquentes interrompent la magie des intérêts composés. »

Stéphane écrit : « Les faits sont là : investis et attends. Rush pas, pile les cennes, trouve-toi un passe-temps et regarde pas trop. »

La question de la semaine

Quels sont vos trucs pour limiter vos dépenses en transport ?

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