Dans L’argent et le bonheur, notre journaliste Nicolas Bérubé offre chaque dimanche ses réflexions sur l’enrichissement. Ses textes sont envoyés en infolettre le lendemain.

L’un des thèmes que j’aime aborder ici est le côté contre-intuitif de l’investissement financier : ça ne cesse jamais de me fasciner.

C’est difficile à accepter, mais pratiquement tout ce que notre cerveau essaie de nous faire faire avec nos placements est une erreur. La Bourse est l’endroit où les analyses lumineuses vont pour mourir.

Voici six mythes populaires en matière de placement.

« C’est payant d’investir dans les industries du futur »

Quand vient le temps d’investir de l’argent, il est tentant de chercher à identifier les gagnants de demain. Par exemple, le thème le plus populaire actuellement est celui de l’intelligence artificielle (IA). Demandez dans un souper si investir dans des entreprises d’IA est une bonne idée, et vous aurez essentiellement des « oui » à 100 %.

Pourtant, le Wall Street Journal rapportait récemment que, sur les 17 fonds d’actions d’entreprises américaines spécialisées dans l’IA les plus importants, 3 seulement ont battu l’indice du S&P 500 au cours de la dernière année. C’est donc dire que 82 % de ces fonds ont sous-performé par rapport à un simple fonds composé des 500 plus grandes entreprises aux États-Unis.

Investir est difficile, car les vainqueurs d’une période sont pratiquement impossibles à identifier à l’avance. Et ceux qui parviennent à le faire réussissent rarement à répéter cet exploit sans se planter tout au long d’une carrière d’investisseur, qui peut s’étendre sur six ou sept décennies.

« Les FNB distordent le marché »

On entend depuis plusieurs années que la popularité des fonds négociés en Bourse (FNB) crée de la « distorsion » dans les marchés, et que les plus grands FNB tirent artificiellement la valeur des entreprises qui les composent vers le haut. Eh bien, le S&P 500 est en hausse de 11 % depuis le début de l’année, alors que la plus importante des entreprises qui le composent, Apple, est en baisse de 8 % durant cette période. Et les investisseurs indiciels ne semblent pas non plus avoir réussi à sauver Tesla, également l’une des principales composantes du S&P 500 : la valeur du constructeur automobile a chuté de 40 % depuis l’été dernier – alors que le S&P 500 multiplie les sommets records depuis cette date.

« Le marché est risqué, car il est très concentré »

Il est de bon ton de remarquer que le marché américain est « risqué », car il est dominé par une poignée d’entreprises très profitables, comme Apple, Microsoft, Alphabet (Google), etc. Et si je vous disais que le marché américain est l’un des moins concentrés du monde ? Les 10 plus grandes entreprises aux États-Unis représentent 34 % de la valeur du marché boursier, alors que c’est 47 % au Canada, 49 % au Royaume-Uni, 57 % en Chine et 58 % en Allemagne, selon les calculs de l’auteur financier Ben Carlson. La concentration des marchés n’a rien de nouveau : en 1900, 63 % de la valeur du marché américain était dominée par l’industrie ferroviaire, selon les calculs de la firme UBS.

« Les marchés qui atteignent des sommets sont fragiles »

En fait, comme les marchés des pays développés sont historiquement en hausse environ deux années sur trois, atteindre des sommets n’est pas rare. Et les rendements d’une année ne nous disent rien sur les rendements de l’année suivante. Les sommets devraient provoquer des bâillements, pas des sueurs froides.

« Une croissance économique forte est bonne pour la Bourse »

Celui-là remporte sans doute la palme des mythes que l’on accepte tous sans même y penser : contrairement à ce qu’on pourrait croire, il n’y a pas de lien entre la croissance du PIB et les rendements boursiers.

Dans l’étude What Matters More for Emerging Markets Investors : Economics Growth ou EPS Growth ? ⁠1 publiée dans The Journal of Portfolio Management en 2022, les auteurs Jason Hsu, Jay Ritter, Phillip Wool et Yanxiang Zhao ont analysé des données de 1900 à 2019 de 15 marchés boursiers des pays émergents et de 21 marchés boursiers des pays développés. Ils ont réalisé que la croissance du PIB ne prédisait pas le rendement des actions.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Comme on peut le voir, l’Afrique du Sud a connu une hausse annuelle moyenne plutôt faible de son PIB de 1900 à 2019, ce qui ne l’a pas empêchée d’être au sommet pour ce qui est des rendements boursiers.

Comment expliquer cette situation ? Les chercheurs notent qu’une partie de l’explication vient du fait que les attentes en matière de croissance élevée sont déjà reflétées dans les prix élevés des actions, et donc que les gains réalisés ensuite ont moins d’impact pour les actionnaires.

Aussi, une économie en croissance verra plusieurs entreprises apparaître, ce qui ne se traduira pas nécessairement par un enrichissement des actionnaires des entreprises existantes.

Enfin, les chercheurs écrivent qu’une grande partie des progrès technologiques produisent une diminution des prix après inflation pour les consommateurs plutôt qu’un rendement élevé pour les actionnaires. « Les progrès technologiques rendent prématurément obsolète une partie du capital existant. Ainsi, une croissance plus élevée du PIB ne se traduit pas nécessairement par des profits plus élevés. »

« Un portefeuille concentré a un plus grand potentiel de croissance qu’un portefeuille diversifié »

Un sondage de l’École de commerce de l’Université de Chicago⁠2 réalisé en 2019 auprès de 40 économistes reconnus leur a demandé leur opinion sur l’affirmation suivante : « En général, en l’absence d’informations privilégiées, un investisseur en actions peut espérer obtenir de meilleurs résultats en détenant un fonds indiciel passif bien diversifié et à frais modiques qu’en détenant quelques actions ». Réponse : 93 % des économistes étaient d’accord avec cette affirmation, et 0 %, en désaccord (le total ne donne pas 100 %, car quelques participants n’ont pas répondu). Bref, résultat unanime. Ou, dans le commentaire laissé par Richard Thaler, lauréat d’un prix Nobel d’économie : « Investissement 101 ».

Vous n’aimez (vraiment) pas le pourboire

Réactions quasi unanimes à mon texte de la semaine dernière sur le pourboire : vous n’aimez (vraiment) pas le pourboire.

Étienne écrit :

« Le pourboire est une forme de désengagement du restaurateur : il refuse de payer ses employés à un taux convenable, et délègue cette tâche aux clients, tout en se dégageant de ses responsabilités au niveau de la qualité du service. »

Nicole écrit :

« Je ne suis pas d’accord avec le raisonnement voulant que le pourboire serve à payer une personne à accomplir une tâche pour nous. Le prix du produit/service EST le paiement de l’accomplissement de cette tâche. C’est pourquoi un repas au restaurant coûte plus cher que les ingrédients dudit repas à l’épicerie. »

Une lectrice écrit :

« Étant concierge d’hôtel, je fais partie des gens qui reçoivent des pourboires. Dans le cas des concierges, peu de gens savent qu’il s’agit d’un emploi à pourboire, pourtant nous accomplissons des miracles pour satisfaire les désirs de nos clients. Par exemple, nous devons organiser des demandes en mariage, cela exige de la planification et du souci du détail, pourtant peu de gens nous laissent un pourboire, ou du moins un merci pour le travail accompli. Les gens qui ont des métiers à pourboire ont des salaires de base inférieurs puisqu’ils comptent sur les pourboires. Il est vrai que les gens d’hôtel ont le pouvoir de devancer l’accès aux chambres ou même offrir des chambres de niveau supérieur… Plus vous serez gentils, plus vous aurez de services. »

1. Consultez l’étude (en anglais) Consultez le sondage (en anglais)