Depuis la publication de la lettre ouverte signée par plus de 90 dirigeants d’entreprise et chefs syndicaux du Canada portant sur le rôle des fonds de pension dans l’économie canadienne, un débat indispensable s’est engagé1. Nous sommes heureux que cette conversation soit amorcée et remercions tous les signataires d’y avoir contribué.

Le Canada connaît un déclin important de ses investissements intérieurs comparativement à ses pairs. Sa productivité traîne. Son produit intérieur brut (PIB) prend du retard par rapport aux États-Unis. Le dynamisme de ses marchés de capitaux s’éteint.

PHOTO FOURNIE PAR LETKO BROSSEAU

Daniel Brosseau, fondateur, gestionnaire de portefeuille et grand patron du gestionnaire d’actif Letko Brosseau

Les caisses de retraite constituent le réservoir d’épargne institutionnel le plus important au pays, égal aux banques et 50 % plus élevé que les compagnies d’assurances. Il est le seul pour lequel les investissements à long terme en capital de risque sont appropriés, les investissements qui forgent l’avenir.

La lettre ouverte fait état d’un déclin important de leurs investissements au Canada. Les plus grandes caisses investissent à l’étranger 13 fois plus en capital-investissement, 8 fois plus en actions publiques, 6 fois plus en infrastructures et 2 fois plus en immobilier qu’au Canada.

Des caisses s’opposent à une remise en question de leur rôle dans l’économie en invoquant qu’elles remplissent bien leur mission grâce à d’excellents rendements. Ainsi soit-il. Serait-ce parce qu’elles investissent peu au Canada ?

Au cours des 5, 10, 15, 20, 25 et 30 dernières années, le marché boursier canadien a mieux fait en moyenne que les marchés développés et émergents, souvent de beaucoup, à l’exception des États-Unis. Toutefois, si l’on exclut le Magnificent 7, les rendements canadiens sont compétitifs avec le reste du S&P 500.

Selon une étude récente de l’UBS sur 100 ans, le Canada est au deuxième rang au chapitre du ratio risque-rendement de toutes les Bourses mondiales, devant les États-Unis et les autres pays développés, à l’exception de l’Australie.

Ces chiffres peuvent surprendre, voire choquer, mais démontrent que le Canada est un excellent pays où investir.

Certains voudraient que les gouvernements fassent du Canada un meilleur pays où investir et alors, mais alors seulement, les fonds de pension s’engageraient à y revenir. Pourtant, en plus des rendements notoires que le Canada a rendus, l’IMD World Competitiveness Ranking de 2023 place le Canada en deuxième position parmi les pays du G7, après les États-Unis. Cette analyse de 336 facteurs porte sur l’efficacité du gouvernement, des entreprises et des infrastructures.

Le Canada serait-il trop petit pour absorber son épargne ? Toute proportion gardée, les marchés canadiens sont comparables en taille à ceux des États-Unis et des autres pays. Nous investissons toutefois 50 % de moins par travailleur en capital non résidentiel que les États-Unis. Pour chaque dollar que nous plaçons dans les sociétés en démarrage, les États-Unis en investissent 40. Nous sommes bien en dessous de la moyenne du G7 en recherche et développement.

En 2020, une étude de Deloitte intitulée « Une vision pour un Canada prospère en 2030 » estimait que le Canada aurait besoin de 200 à 400 milliards de dollars d’investissements par année pour répondre à ses besoins en infrastructures et en immobilier. En 2022, le Groupe de travail national sur la chaîne d’approvisionnement rapporte que 88 milliards de dollars par an seront requis en infrastructure pour maintenir la compétitivité des 62 % de son PIB qui dépendent du commerce extérieur.

Il ne manque donc pas d’occasions d’investissement au Canada.

Certains craignent qu’investir au Canada nuise aux rendements. En preuve on attribue au double mandat de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) l’écart négatif entre ses rendements sur 10 ans et ceux du Régime de pensions du Canada (RPC). Or, l’écart s’explique entièrement par une pondération moindre en revenu fixe du RPC et la forte baisse du dollar canadien. Nul besoin de recourir au double mandat pour expliquer les différences.

Enfin, on mentionne souvent que le Canada ne représente qu’environ 2,5 % de l’économie mondiale et, par conséquent, une faible pondération proportionnelle au Canada est appropriée. Un tel argument ne provient pas d’investisseurs recherchant les meilleurs rendements grâce à des analyses approfondies, mais plutôt de gestionnaires indiciels qui recherchent le rendement moyen. L’indexation souffre aussi d’un vice fondamental. Elle voudrait qu’on investisse seulement 2,5 % de notre 2,5 % de l’épargne mondiale dans notre propre économie alors qu’un plus grand pays en investirait plus dans le sien. Pourquoi cette dissymétrie d’autofinancement qui ne peut que contribuer aux disparités entre pays ?

Ces inquiétudes contribuent au débat, mais elles n’abordent pas le vif du sujet : le rôle crucial de ce réservoir d’épargne dans l’économie canadienne.

Une étude du Centre canadien d’analyse économique indique qu’OMERS et ses membres ont contribué à hauteur de 13,7 milliards de dollars au PIB de l’Ontario en 2023. Environ 9,7 milliards provenaient des paiements de pension et dépenses d’exploitation. Les 4,0 milliards additionnels résultaient des investissements. OMERS détient environ 20 milliards de dollars en immobilier, infrastructures, actions privées et publiques au Canada, générant ainsi 1 $ de PIB supplémentaire pour chaque 5 $ investi sur le plan national.

Les retombées de la CDPQ au Québec sont similaires. Les champions mondiaux qu’elle a contribué à créer et à faire grandir tels CGI, Couche-Tard, WSP et Dollarama ont bénéficié à la CDPQ, au Québec, et au Canada.

Il y a donc une énorme différence entre l’impact des investissements intérieurs et ceux faits à l’étranger.

Le gouvernement a créé ce régime d’épargne et lui a conféré d’importants avantages fiscaux. Il a aussi une obligation de pourvoir à la santé et à la croissance de l’économie nationale en s’assurant que les allégements d’impôt bénéficient à tous les Canadiens. Doit-il subventionner le développement de l’économie de la Chine et des États-Unis aux dépens du sien ?

L’objectif de la lettre ouverte n’était pas de forcer les caisses de retraite d’aucune façon, mais plutôt d’identifier des avenues pour éviter que le système continue à évoluer sans reconnaître le rôle essentiel que doit jouer ce réservoir d’épargne dans l’évolution de l’économie du Canada et des revenus des Canadiens. Nous croyons qu’il est possible d’offrir aux caisses de retraite toute la latitude qu’elles désirent tout en encourageant un investissement accru au Canada.

1. Consultez la lettre « L’importance d’investir au Canada »