Tant de gens prévoient une récession qu’on serait presque surpris qu’il n’y en ait pas.

Après tout, la Réserve fédérale (Fed) relève les taux d’intérêt depuis plus d’un an pour juguler l’inflation. Le crédit s’est déjà resserré et des banques régionales américaines ont fait faillite. Même si le marché de l’emploi reste obstinément vigoureux, les économistes de la Fed prévoient que l’économie ralentira assez pour entrer en récession.

De quoi inquiéter les investisseurs, car « récession » rime avec « chute de la Bourse » : le bear market, comme on dit... Par exemple, durant la récession de 2020 au début de la pandémie, l’indice S&P 500 a chuté de près de 34 % par rapport à son sommet.

Aurons-nous une récession cette année ? Je n’en sais rien. Mais les récessions font partie de la vie. J’en ai vécu six au cours de ma carrière – sans parler des innombrables yo-yo boursiers –, alors j’accepte que ni moi ni personne ne peut les prévoir de manière fiable.

Pourtant, je suis un investisseur constant, principalement en gardant beaucoup de liquidités en lieu sûr et en conservant une vision résolument à long terme, ancrée dans l’histoire.

S’accrocher n’est pas toujours facile. L’incertitude quant à l’avenir peut rendre l’investissement insupportable. Mais le passé peut apporter un certain réconfort.

Les actions ont toujours rebondi après les récessions, parfois très vite. J’ai demandé à Dimensional Fund Advisors, une grande société de gestion d’actifs établie à Austin, au Texas, de faire des calculs : le marché a raisonnablement performé sur des périodes de 10 ou 20 ans après les récessions ; mais pas toujours sur un horizon plus court.

Les récessions

Une récession est « une baisse importante de l’activité économique qui s’étend à toute l’économie et dure plus de quelques mois », selon le National Bureau of Economic Research (NBER), l’entité quasi officielle qui détermine quand commencent et se terminent les récessions aux États-Unis.

Une tâche assez simple, dirait-on. Mais dans une économie vaste et complexe, déterminer quand une récession a eu lieu n’est pas évident, même après coup.

Le NBER prend son temps pour se prononcer.

S’il y a une récession, on le saura avec certitude bien après son début, peut-être même après qu’elle sera terminée. C’est ce qui s’est passé la dernière fois. Elle a commencé en février 2020 au début de la pandémie et s’est terminée en avril 2020. Mais le Bureau a attendu 15 mois, jusqu’en juillet 2021, pour déclarer qu’il y avait eu récession.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

La courte récession de la COVID-19 a commencé au premier trimestre 2020 et s’est terminée durant le deuxième trimestre. Ci-dessus, un commerce fermé en avril 2020, rue Saint-Hubert, à Montréal.

Dans le passé, ces diagnostics « ont pris entre 4 et 21 mois, précise le bureau. Il n’y a pas de règle fixe en matière de délais. Nous attendons assez pour que l’existence d’un pic ou d’un creux soit certaine, et jusqu’à ce que nous puissions dater précisément le pic et le creux. »

Souvent, les actions chutent avant la récession et remontent avant la reprise.

Le NBER « ne date les récessions qu’après leurs débuts, a déclaré Marlena Lee, cheffe des solutions d’investissement chez Dimensional Fund Advisors. Les marchés, quant à eux, les annoncent bien à l’avance. »

Rendements historiques

Depuis 1948, il y a eu 11 récessions aux États-Unis1. À ma demande, Mme Lee a calculé les rendements totaux annualisés du S&P 500, dividendes compris, à partir du premier jour du mois suivant le début de la récession.

Ces moyennes me semblent rassurantes :

  • Rendement affiché par le S&P 500 un an après le début des récessions : 6,4 %
  • Trois ans après le début des récessions : 12,1 %
  • Cinq ans après : 10,4 %
  • Dix ans après : 12 %
  • Vingt ans après : 11,5 %

Avec la capitalisation, 1 $ dans l’indice vaudrait 10,56 $ après 20 ans, en moyenne. Jusqu’ici, tout va bien.

Maintenant, les mises en garde s’imposent.

Il ne s’agit que de moyennes à long terme ; il existe de grandes variations entre elles.

Le meilleur rendement sur 20 ans (1980-2000) a été de 17,2 %, annualisé (1 $ investi en février 1980 valait 24,02 $ 20 ans après).

Le pire rendement sur 20 ans (1960-1980) a été de 7,3 %, annualisé (1 $ investi en mai 1960 valait 4,09 $ 20 ans après).

Bien sûr, je préférerais avoir 24,02 $ en poche, mais même 4,09 $ ne seraient pas si mal.

De lourdes pertes

Le rendement a varié beaucoup plus sur des intervalles plus courts. Ainsi, un an après la récession de 1953, un investissement dans le S&P 500 aurait gagné près de 32 %.

Mais certaines années ont été vraiment atroces. Un an après le début des récessions de 1973, 1981 et 2007, la Bourse demeurait en baisse. La dernière (la crise des subprimes) a été la pire.

PHOTO DAVID GOLDMAN, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

La faillite de la banque Lehman Brothers le 15 septembre 2008 a fait chuter l’indice Dow Jones de 4,5 % en une séance, la plus grande baisse quotidienne depuis les attentats du 11 septembre 2001.

En 2008, un an après le début de cette récession, le S&P 500, avec les dividendes, avait perdu 37 %. Autrement dit, si vous aviez investi 1 $ dans l’indice au début de la récession, il valait 63 cents un an plus tard.

En 2010, sur trois ans, vous étiez toujours dans le trou : votre dollar valait 92 cents. En 2012, sur cinq ans, vous aviez enfin des gains, mais pas grand-chose : votre dollar de 2007 valait 1,09 $. Au bout de 10 ans, en 2017, c’était mieux : 2,26 $. Le verdict sur 20 ans ? On verra.

La dernière récession, celle qui a débuté en février 2020, a vite mené à d’excellents rendements, malgré les pertes initiales. Un an plus tard, le dollar investi en février 2020 valait 1,31 $. Sur trois ans, il valait 1,41 $. Je parie qu’il continuera à augmenter au cours des deux prochaines décennies, mais je n’ai aucune garantie.

Mes conclusions

L’histoire est riche en enseignements, mais le passé n’est pas garant de l’avenir. Les rendements historiques ne sont pas un guide fiable. Si le marché boursier surperforme par rapport au passé, tant mieux. S’il fait moins bien, vous serez peut-être en assez bonne posture si vos placements sont diversifiés et investis dans diverses régions du monde.

Cela dit, tant que l’économie continue de croître malgré des récessions et que les marchés fonctionnent relativement bien, il y a lieu d’être à la fois optimiste et prudent. Bien que je sois un investisseur qualifié, je ne risque pas sur les marchés l’argent dont je pense avoir besoin dans les trois à cinq prochaines années.

Par prudence, je détiens des liquidités dans différents endroits, notamment des fonds monétaires gouvernementaux et des comptes d’épargne assurés par le gouvernement. Les certificats de dépôt bancaire et les bons du Trésor sont aussi de bons choix.

À long terme, j’investis en obligations et en actions dans des fonds indiciels larges, diversifiés et peu coûteux qui reflètent l’ensemble des marchés mondiaux, ce qui répartit les risques. En 2022, les valeurs technologiques ont chuté, mais les valeurs énergétiques ont progressé. Les obligations ont connu des résultats de misère, mais je m’attends à ce qu’elles rebondissent dans les années à venir. Nous verrons bien tout cela.

Anticiper les récessions ou se fier aux économistes ou aux experts de Wall Street pour déterminer quand investir et quoi conserver, tout cela me semble stérile.

D’abord, je m’assurerai que, quoi qu’il arrive, je puisse payer les factures. Ensuite, je continuerai à être optimiste, pariant que, sur deux décennies ou plus, le marché boursier s’appréciera, malgré ces récessions tant redoutées.

1. Il y en a eu 10 au Canada selon le C.D. Howe Institute Business Cycle Council.

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

Lisez l’article original (en anglais)