Absente de nos écrans depuis une quinzaine d’années, Linda Malo renoue doucement avec sa vie de comédienne. Tête-à-tête avec une pionnière qui, malgré les revers, continue de se laisser porter par l’espoir.

En janvier 2022, l’auteur de ces lignes a contacté Linda Malo afin de lui proposer de participer à Loin des projecteurs, une série de portraits d’artistes qui ont profondément marqué la culture québécoise, mais vivent désormais en retrait de l’œil du public.

Une invitation que Linda Malo, avec une infinie gentillesse, avait préféré décliner. « Faire ce genre d’entrevue, ça aurait été pour moi l’acceptation qu’il y a quelque chose de terminé », confie-t-elle, assise en lotus dans la rassérénante lumière de sa résidence du Plateau Mont-Royal.

Il y avait encore en moi cet espoir, et de parler de mon métier au passé, j’avais peur que ça envoie une énergie, un signal que j’étais prête à tourner la page. Alors que pour moi, ça n’a jamais été terminé.

Linda Malo

Elle aura eu raison de ne pas cesser d’y croire : en mai dernier, elle incarnait Esther dans la série Les perles (Club Illico) et participera pour la première fois, l’automne prochain sur Crave, à une comédie, Inspirez expirez, écrite par Sonia Cordeau.

PHOTO PRISCILLIA PICCOLI, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Linda Malo, sur le plateau d’Inspirez expirez

Le jour de notre rencontre, Linda Malo flottait toujours dans la douce apesanteur de la fin de ce tournage. « Après une scène avec Katherine Levac, pendant qu’on quittait le plateau, elle me dit : “Linda, tu sais, t’étais très, très drôle.” » Ses yeux se remplissent d’eau. La comédienne n’avait pas perdu espoir, mais avait peut-être un peu perdu confiance.

À bon port

Linda Malo est à Paris, au milieu des années 1990, lorsqu’une agente de casting la contacte afin de lui demander si elle accepterait d’auditionner pour le réalisateur Jean-Claude Lord, qui était alors à la recherche d’une jeune femme métisse. Aussi étonnée qu’amusée, la mannequin se filme, avec l’aide de son papa en visite, dans la cour intérieure de son appartement.

Après avoir regardé la cassette, Jean-Claude avait dit à l’agente : c’est sûr qu’elle ne sait pas jouer, mais elle a quelque chose à l’écran qui ne s’apprend pas à l’école de théâtre.

Linda Malo

La série Jasmine (1996) marquera les esprits pour de nombreuses raisons, d’abord parce que la fiction québécoise n’avait jamais confié de rôle principal à une femme noire, encore moins celui d’une policière, mais aussi parce qu’il y était question de profilage racial, de harcèlement sexuel et d’assistanat intime pour les personnes handicapées.

PHOTO ROBERT NADON, ARCHIVES LA PRESSE

Linda Malo en juillet 1999

Autre raison : un grand réseau plaçait un rôle majeur sur les épaules d’une pure inconnue. « TVA avait demandé à Jean-Claude s’il voulait vraiment mettre 10 millions sur une fille qui n’a jamais joué de sa vie et il avait répondu : “Oui, le Québec va l’aimer.” »

Jean-Claude Lord ne s’était pas trompé. Même sans avoir rêvé à cette carrière, Linda Malo aura l’impression, grâce à Jasmine, d’arriver « à bon port ». Jusqu’en 2007, elle enfile les mandats comme comédienne (Virginie, Les poupées russes) ou animatrice (Bec et Museau, Maison de rêve), devient une des joueuses étoiles de La Fureur et ne quitte jamais vraiment la circulation.

« Quand j’étais jeune adolescente, j’ai repéré durant quelques années les articles sur Linda Malo dans les 7 jours chez le dentiste, et lu avec avidité les reportages que lui consacrait Clin d’œil », écrivait l’autrice Chloé Savoie-Bernard dans un billet publié en janvier dernier dans Le Devoir au sujet du rassurant miroir que la comédienne aura offert à beaucoup de jeunes femmes noires, à une époque où elles se faisaient rares à la télé. « J’ai découpé ses photos dans mon agenda en première ou en deuxième secondaire, les ai collées entre Jennifer Lopez et Kelis. » Rien de moins.

La vie

Que s’est-il passé pour que Linda Malo s’absente aussi longtemps ? Réponse courte : la vie. « Après Les poupées russes, il y a eu une baisse, mais ça peut arriver à tout le monde », explique-t-elle en choisissant bien ses mots. « Je ne voudrais pas qu’on pense qu’il y a de l’amertume. »

Linda Malo, amère ? Voilà une idée que son sourire, l’image même de la gratitude, dément immédiatement. « On dit souvent qu’on voit toujours les mêmes gens à la télé et jamais je ne dirai ça, parce que j’ai fait partie pendant 10, 12 ans, de ces mêmes gens. »

Après une séparation, la mère se retrouve seule avec son fils, puis devra prendre soin de sa maman, atteinte de la maladie d’Alzheimer. N’ayant pas le luxe de tout simplement attendre, elle se tourne, avec succès, vers la production de vidéos d’entreprise, un travail lui permettant de laisser la porte ouverte à sa vie de comédienne.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Linda Malo

Les années passent et tu gardes espoir que les choses reviennent, mais, entre les devoirs, les courses et les sous à gagner, tu n’as pas nécessairement le temps d’aller cogner à toutes les portes.

Linda Malo

Même si ça n’avait rien de vrai, le mot s’était passé dans le proverbial milieu : Linda Malo avait tiré un trait sur la télé. Puis un jour, la directrice de casting de la série Les perles, Édith Côté-Demers, tente sa chance et lui demande : « Linda, est-ce que ça te tente encore de jouer ? »

Indicatif présent

« Est-ce que tu me permets de te montrer quelque chose ? » Linda Malo se lève de son fauteuil rouge et sort d’un petit coffre en bois une photo en noir et blanc du mariage de ses parents, en 1960, à Trou-du-Nord, à Haïti.

Enfant adopté, élevé sur le Plateau Mont-Royal alors qu’il s’agissait encore d’un quartier ouvrier, le père de Linda Malo, Fernand, avait été envoyé en Haïti par les Jésuites. C’est là qu’il rencontrera la jolie Marie qui, après plusieurs obstacles et des années de séparation forcée, le suivra au Québec.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Linda Malo

Son sens de l’espoir, Linda Malo l’a visiblement hérité de son père et de sa mère, qui ont formé un couple mixte à une époque où les trottoirs de Montréal en voyaient peu.

Comment, moi, ne pas trouver la force de continuer, quand les choses sont plus difficiles, si mes parents ont pu passer à travers beaucoup de choses vraiment pas faciles ?

Linda Malo

Les parents de Linda Malo seront demeurés plutôt pudiques, avec leurs trois filles, sur les avanies engendrées par ce que leur couple représentait. « Mais une fois, mon père m’a raconté qu’un de ses frères était venu à la maison, en boisson, et qu’il lui avait demandé : pourquoi t’as épousé une négresse ? Mon père l’avait immédiatement mis dehors. »

« La raison pour laquelle je te raconte ça, poursuit-elle, c’est parce qu’avant de mourir, une des dernières personnes que cet oncle a demandé à voir, c’est mon père. Et il lui a dit : “Fernand, tu m’excuseras pour ce que j’ai dit à Marie.” »

En arrière-plan, la musique continue de jouer, mais un immense silence se déploie entre Linda et moi. « Ce que mon père essayait de me passer comme message, je pense, c’est qu’on peut porter longtemps le poids de quelque chose de méchant qu’on a fait à quelqu’un d’autre. »

Linda Malo est de retour, donc. « Tu as commencé l’entrevue en disant que j’ai été [elle appuie sur le verbe au passé composé] une personnalité importante pour la télé québécoise… » Moment suspendu. Elle sourit. « Eh ben… peut-être que la prochaine fois, on pourra renouer avec l’indicatif présent ? »