Dans cette nouvelle série, des comédiens parlent d’un rôle qu’ils n’ont pas décroché et imaginent comment cet engagement aurait changé leur carrière et leur vie.

Édith Cochrane n’était « personne » en 2006. (Ce sont ses mots ; pas les nôtres.) Et pourtant, il s’en est fallu de peu pour qu’elle décroche le rôle-titre d’une série phare de l’époque, un projet qu’on associe aujourd’hui étroitement à Suzanne Clément : Les hauts et les bas de Sophie Paquin.

En entrevue, Édith Cochrane revisite ce chapitre avec sérénité. Sans pointe d’amertume ou d’aigreur. L’actrice et animatrice est toutefois convaincue d’une chose : la série aurait transformé son parcours professionnel.

Et pour cause. Écrite par Richard Blaimert (Nouvelle adresse, Cerebrum), Les hauts et les bas de Sophie Paquin est restée à l’antenne de Radio-Canada pendant 4 saisons et 52 épisodes, remportant au passage 16 prix Gémeaux et enregistrant des cotes d’écoute moyennes de 605 000 téléspectateurs.

« Personne ne savait qui j’étais à l’époque. J’aurais été Sophie Paquin avant d’être Édith Cochrane. Suzanne Clément avait fait beaucoup plus de choses que moi. C’était une actrice qu’on connaissait. »

Relatant les mésaventures d’une jeune mère de famille monoparentale aux commandes d’une agence artistique, la comédie produite par Sphère Média s’est exportée dans plusieurs pays (France, Hongrie, Belgique, Italie, Suisse), en plus d’être adaptée au Canada anglais (Sophie) et d’engendrer une série dérivée (Penthouse 5-0). Aujourd’hui, elle continue d’être diffusée en reprise sur Unis TV.

PHOTO FOURNIE PAR UNIS TV

La série Les hauts et les bas de Sophie Paquin mettait en vedette, autour de Suzanne Clément, Élise Guilbault, Jean-Nicolas Verreault, Danny Blanco, Pauline Martin et Éric Bernier.

Je mesure tout ce que ça aurait pu changer dans ma vie. C’est sûr que j’aurais été propulsée plus rapidement. Ça m’aurait pris moins de temps pour atteindre un certain standing…

Édith Cochrane

« Et aujourd’hui, je jouerais dans STAT ! », dit-elle en plaisantant.

Trois auditions

Quand Édith Cochrane soutient qu’elle n’avait pas accompli « grand-chose » avant d’auditionner pour Sophie Paquin, elle omet volontairement ses précédentes carrières, comme éducatrice spécialisée en centre d’accueil, puis enseignante au secondaire. Côté artistique, son curriculum vitæ, entamé en 2002 avec l’émission jeunesse Sofa, comprenait des rôles secondaires dans quelques séries populaires (Rumeurs, Caméra-café, Les invincibles, Casino), la Ligue nationale d’improvisation et Appelez-moi Stéphane, pièce de théâtre de Claude Meunier et Louis Saia, reprise en 2005.

« J’avais un parcours atypique, raconte la principale intéressée. Mes affaires marchaient. »

Édith Cochrane savait pertinemment que Sophie Paquin était « quelque chose de gros ». Après une première audition réussie, son chum, le comédien Emmanuel Bilodeau, l’avait convaincue de retenir les services d’une coach de jeu. La deuxième audition, tenue en présence du réalisateur Claude Desrosiers, s’était également déroulée sans heurts.

Édith Cochrane a constaté qu’elle était proche du Saint-Graal lorsqu’elle s’est présentée au troisième et dernier tour d’audition. La production avait contacté son agence pour connaître ses disponibilités en prévision d’un tournage éventuel. Et surtout, une seule autre actrice (dont elle ignorait l’identité) était considérée.

Tous les espoirs étaient permis. « Ça devenait très concret », raconte la comédienne.

Un château de cartes qui s’effondre

Divulgâcheur : Édith Cochrane n’a pas obtenu le rôle, offert plutôt à Suzanne Clément. Une vingtaine d’années plus tard, l’actrice se rappelle sa réaction en apprenant la nouvelle. « C’est comme un château de cartes qui s’effondre. »

C’est le premier gros refus que j’ai essuyé. C’est aussi la première fois que j’ai pensé : ‟Oh boy… OK… Ce n’est pas facile.” C’était une grosse déception. Les jours après, ça revenait par vagues. Je m’étais projetée. Je m’étais imaginée en tournage… Ce n’était pas vraiment une question de notoriété ou d’argent ; j’étais déçue pour l’expérience de travail.

Édith Cochrane

Édith Cochrane a réussi à chasser le dépit en utilisant l’humour, en mettant exagérément l’accent sur tout ce qu’elle n’aurait pas été capable de faire si Sophie Paquin avait monopolisé ses journées. « C’était comme une joke. J’étais tout le temps comme : “Une chance que je n’ai pas eu Sophie Paquin, je n’aurais pas pu faire telle ou telle affaire, comme aller en camping !” C’était n’importe quoi, mais pour moi, ça marchait. »

PHOTO FOURNIE PAR UNIS TV

Suzanne Clément dans Les hauts et les bas de Sophie Paquin

Détail amusant : Édith Cochrane a croisé Suzanne Clément peu après l’entrée en ondes de Sophie Paquin, en 2006. La finaliste a profité de l’occasion pour féliciter l’heureuse élue.

« J’étais vraiment contente pour elle. Vraiment. Et elle était tellement bonne ! »

Aucun ressentiment

Édith Cochrane semble avoir le bonheur facile depuis toujours. Cette faculté innée à poser un regard doux et positif sur (presque) tout l’aide à traverser certaines épreuves sans trop de peine, y compris une audition qui n’aboutit pas.

J’ai aussi un certain détachement par rapport au métier [d’actrice]. Je n’ai jamais l’impression de jouer ma vie en audition. Parce que cette carrière, elle m’est tombée dessus.

Édith Cochrane

Édith Cochrane n’a jamais éprouvé de ressentiment envers Suzanne Clément, Claude Desrosiers et compagnie. La raison principale ? Si elle avait obtenu le rôle, elle aurait inévitablement transformé son portrait familial.

« J’ai eu mon premier fils [Siméon] en 2008 et mon deuxième [Paul-Émile] en 2010. Ce n’est pas quelque chose que j’aurais voulu changer. Pour rien au monde. »

Rendez-vous manqué

Édith Cochrane admet qu’elle tiendrait probablement un autre discours si elle n’avait pas réussi à percer. Au cours des deux dernières décennies, elle s’est taillé une place dans l’industrie, non seulement comme actrice, mais comme animatrice.

L’automne dernier, elle a joué dans Inspirez expirez sur Crave. Depuis deux semaines, elle tient l’affiche du film Sur la terre comme au ciel, de Nathalie Saint-Pierre. Côté animation, elle pilote la série documentaire C’est plus qu’un jardin sur Unis TV, et l’émission Les temps fous à Télé-Québec.

Si j’avais une vie que je n’aime pas, peut-être que j’aurais une autre attitude.

Édith Cochrane

PHOTO FOURNIE PAR TÉLÉ-QUÉBEC

Édith Cochrane aux commandes des Temps fous à Télé-Québec

Édith Cochrane a fait la paix avec Sophie Paquin, mais elle continue d’espérer qu’un jour, son nom apparaîtra au sommet du générique d’une œuvre de fiction.

« Je mettrais au défi Richard Blaimert d’écrire une autre série mettant en vedette, disons, une vieille de 46 ans qui vit des affaires. Une série qui serait réalisée par Claude Desrosiers. Et j’irais volontiers auditionner. On pourrait reprendre notre rendez-vous manqué... »

Édith Cochrane

Audition : Les hauts et les bas de Sophie Paquin

Rôle : Sophie Paquin (obtenu par Suzanne Clément)

Années de diffusion : 2006-2009

« Jouer le rôle-titre d’une grosse émission à Radio-Canada, c’est une chance que je n’ai pas connue. Mais c’est-tu vraiment grave ? Ce n’est pas comme si, après coup, ça avait été downhill pour moi. J’ai fait plein d’autres affaires ensuite. »