Malgré les obstacles financiers, l’ambitieux projet d’une ancienne mannequin prend forme : une « maison intelligente » où huit jeunes vivant avec une déficience intellectuelle pourront cohabiter sans supervision parentale. Vânia Aguiar a fait visiter le futur « royaume » à La Presse.

Quand Vânia Aguiar a franchi le seuil de la future maison de ses « petits rois » pour la première fois, elle a « versé une larme ».

« De joie ! », précise l’ancienne mannequin internationale déterminée à améliorer le sort d’enfants vivant avec une déficience intellectuelle modérée à sévère.

Ce sont eux, ses « petits rois ». Des jeunes qui ne font rien seuls, qui ne parlent pas. Certains vivent aussi avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA).

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Aperçu du projet final

Des enfants dont la naissance a bouleversé le quotidien de leur famille à qui on a malheureusement souvent prédit un avenir sombre. Ou pas d’avenir du tout.

Nous la retrouvons par une chaude journée de juillet sur le chantier de construction de la « maison intelligente » dans le quartier Côte-des-Neiges six mois après notre première rencontre.

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Avec les coûts de construction qui ont monté en flèche durant la pandémie, le projet initial estimé à environ 3 millions est devenu un projet de près de 6 millions.

Nous avions réalisé son portrait dans La Presse l’hiver dernier dans le cadre d’une série sur des « Acteurs de changement ».

Lisez l’article « L’ex-mannequin qui se bat pour ses “petits rois” »

À l’époque, Mme Aguiar était très inquiète.

Le projet était dans l’impasse en raison d’une hausse des coûts de construction.

Or, à la suite de notre reportage, un déluge de dons de particuliers et d’entreprises ainsi qu’une contribution du gouvernement du Québec – une annonce est prévue sous peu – lui ont permis de boucler le budget. Près de 2,5 millions de dollars ont été récoltés.

Des lecteurs inspirés et inspirants

Père d’un garçon de 19 ans vivant avec la trisomie 21, Eric Deschênes s’est senti interpellé à la lecture de l’article.

La crise du logement frappe de plein fouet les gens vivant avec une déficience intellectuelle alors que le délai d’attente pour obtenir un logement avec assistance est de 15 ans.

Eric Deschênes, père d’un garçon vivant avec la trisomie 21

De plus, il manque cruellement de programmes sociaux pour des personnes vivant avec une déficience intellectuelle. « Les défis sont plus grands pour intégrer des personnes avec une déficience modérée à sévère et ainsi avoir accès à des programmes adaptés », dit M. Deschênes, très admiratif que Mme Aguiar consacre ses énergies à ceux qui souffrent davantage des « trous de services ».

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Les ouvriers (et la machinerie) s’activent sur le chantier.

Sa famille possède une entreprise – le Groupe Deschênes – qui est très engagée dans l’amélioration du sort des personnes vivant avec une déficience intellectuelle. Cette fois-ci, c’est M. Deschênes en son nom personnel qui a fait une « contribution majeure », dans l’espoir d’inspirer d’autres personnes à contribuer à ce type de projet.

Un modèle « unique »

Elle-même maman d’un « petit roi », Henri-Louis, 27 ans, Mme Aguiar nous fait visiter la maison avec un enthousiasme débordant.

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Vânia Aguiar est elle-même maman d’un « petit roi » : Henri-Louis, 27 ans, vit avec une déficience intellectuelle.

« C’est unique comme modèle. On le veut beaucoup plus souple qu’une résidence intermédiaire ou un CHSLD », explique celle qui est présidente et fondatrice de la Fondation des petits rois.

Depuis la naissance de son fils handicapé – « le plus imparfaitement parfait que je pouvais avoir » –, sa plus grande préoccupation est l’avenir de son enfant lorsque son mari et elle ne seront plus là.

Elle a visité des ressources intermédiaires. Elle s’est imaginée Henri-Louis se berçant toute la journée devant la télé. Elle s’est alors juré que jamais il ne vivrait là.

Il y a six ans, donc, elle plongeait dans un nouveau projet colossal : financer la construction d’une « maison intelligente » où huit jeunes pourraient cohabiter sans supervision parentale. Des projets pour améliorer la vie des jeunes comme son Henri-Louis, elle en a mené plusieurs depuis une vingtaine d’années.

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Un déluge de dons de particuliers et d’entreprises ainsi qu’une contribution du gouvernement du Québec ont permis de boucler le budget du projet.

Mme Aguiar est parvenue à trouver le terrain et, surtout, l’argent nécessaire. Mais les coûts de construction ont monté en flèche durant la pandémie, et le projet initial estimé à environ 3 millions est devenu un projet de près de 6 millions.

Négliger aucun détail

Toujours tirée à quatre épingles, Mme Aguiar nous montre l’espace prévu pour l’ascenseur. Car les jeunes vont « vieillir ». « Ils vont former une famille jusqu’à la fin de leur vie », dit-elle avec un soulagement évident.

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Vânia Aguiar, présidente et fondatrice de la Fondation des petits rois

Un superviseur y vivra en permanence. Des professionnels seront embauchés pour que les jeunes poursuivent leurs apprentissages. Et la technologie pourra les appuyer dans leur quête d’autonomie. De grandes entreprises, des architectes chevronnés, des chercheurs de l’Université du Québec à Trois-Rivières, le CIUSSS local et l’Institut de gériatrie de Montréal collaborent au projet.

À l’entrée, dans les salles de bain ainsi que dans la cuisine, il y aura des écrans qui leur indiqueront comment s’habiller, « qu’il fasse 30 ou -30 », comment se brosser les dents ou encore comment remplir le lave-vaisselle.

Pour nous, ce sont des acquis. Pour eux, ce sont des apprentissages.

Vânia Aguiar, présidente et fondatrice de la Fondation des petits rois

Mme Aguiar n’a négligé aucun détail pour que les jeunes y soient bien. Chaque semaine, elle participe aux réunions sur l’avancement du chantier. « Madame Vânia, elle est spéciale, lâche le surintendant du chantier Michel Boyer. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi déterminé. »

Au départ, « les gars me trouvaient vraiment exigeante », dit-elle en riant.

L’ex-mannequin a insisté pour que M. Boyer ainsi que le patron de ce dernier chez Axim Construction – le gérant du chantier Jonathan Gomes – visitent une école pour enfants déficients intellectuels et autistes.

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Le surintendant du chantier, Michel Boyer

« Moi, je n’en ai pas dans ma famille. Je ne connaissais pas ça, l’autisme », décrit M. Boyer qui vante les éducatrices – des « saintes » – qu’il y a rencontrées.

« J’ai appris plein de choses, poursuit le sympathique entrepreneur, comme le fait qu’ils peuvent travailler et que ce sont des employés fidèles. »

Des expériences de toutes sortes

Aujourd’hui, les « gars » comprennent mieux l’insistance de Mme Aguiar sur des détails comme la qualité de l’éclairage. « Les enfants sont déstabilisés par la lumière froide, bleue », souligne-t-elle. Le bâtiment de deux étages a une fenestration abondante, justement pour privilégier l’éclairage naturel.

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Le bâtiment de deux étages a une fenestration abondante, privilégiant l’éclairage naturel.

Dans la grande cour arrière, un sentier boisé sera aménagé ainsi qu’un jardin. Le terrain est en pente, de quoi faire le bonheur de ces grands enfants qui pourront y glisser l’hiver.

Au sous-sol, une salle Snoezelen – un espace sûr et apaisant qui fait vivre des expériences sensorielles – sera aménagée. Une autre grande salle sera dédiée à la motricité.

« Les Grands Ballets de Montréal viendront y donner des ateliers de danse », vante celle qui a multiplié les partenariats avec toutes sortes d’organisations, dont Loto-Québec, Urgences-santé et L’Oréal Canada, au fil des ans.

Huit organisations – « bientôt neuf » – offrent des plateaux de travail à des « petits rois », qui, autrement, devraient rester à la maison puisqu’ils ne sont plus scolarisés après 21 ans. Ils y accomplissent des tâches adaptées à leur capacité comme déchiqueter du papier ou arroser des plantes. Les cas les plus lourds ont un accompagnateur au quotidien.

Autre retombée du reportage : des institutions se sont manifestées pour offrir de nouveaux plateaux. Le Collège Jean-Eudes – école secondaire privée située dans le quartier Rosemont – accueillera ainsi huit jeunes adultes en janvier prochain. « Ce sera merveilleux pour les élèves et nos jeunes de se côtoyer », croit-elle.

La maison n’est pas encore inaugurée que déjà Mme Aguiar rêve d’en reproduire le modèle aux quatre coins du Québec. « Moi, je lui donnerais une médaille », nous confie le surintendant de chantier avant de prendre congé de nous pour retourner au travail.