Le contraste est frappant entre le débat sur la centrale nucléaire de Gentilly-2 en 2012 et aujourd’hui.

À l’époque, la réfection était à la fois plus populaire et moins pertinente.

C’était la fin de l’ère Charest. On s’inquiétait alors des surplus d’énergie et les projets d’approvisionnement étaient controversés, comme le gaz de schiste et la centrale thermique – abandonnée – au Suroît.

À l’interne, Hydro-Québec avait fini son analyse : la réfection de Gentilly était trop coûteuse. La décision avait été prise de la fermer. Or, le gouvernement libéral n’osait pas le dire. C’était avant la pénurie de main-d’œuvre. La Mauricie tenait à ces emplois et les libéraux voulaient y conserver leurs sièges lors de la campagne électorale imminente. La députée de Trois-Rivières, Danielle St-Amand, était d’ailleurs une des plus féroces défenseuses de la centrale, populaire dans sa région.

Les péquistes ont pris le pouvoir en promettant de fermer la centrale. Hydro-Québec a ensuite révélé publiquement en commission parlementaire ce qui était connu en coulisses : sur le plan économique, fermer la centrale était la seule option raisonnable. En furie, le maire de Trois-Rivières, Yves Lévesque, avait réclamé la démission du patron de la société d’État, Thierry Vandal.

Comme les choses ont changé…

L’ère des surplus tire à sa fin. Le Québec manquera d’énergie à partir de 2027. D’ici 2050, la production d’électricité devra augmenter d’environ 50 %, soit 100 térawattheures (TWh). C’est dans ce contexte qu’Hydro-Québec évalue la possibilité de rouvrir Gentilly-2.

À l’Assemblée nationale, ça passe mal. Les libéraux et les solidaires dénoncent ce revirement. Ils auraient voulu que la population se prononce au préalable. Leur raisonnement est étrange. Car c’est précisément afin de permettre ce débat que la société d’État a lancé sa réflexion.

Le réacteur de la centrale a été mis à l’arrêt à la fin de 2012. En 2020, le combustible irradié a été transféré vers des modules de stockage à sec. La période de dormance a donc commencé. Dans l’ensemble, le processus de fermeture prend 50 ans.

Des experts vérifient depuis quelques jours s’il est trop tard pour revenir en arrière. Leur réponse devrait venir d’ici quelques mois, sinon quelques semaines.

En attendant, on ignore si la réouverture est techniquement possible.

Si c’est faisable, on examinera alors sa pertinence. Et pour cela, il faudra avoir une idée des coûts, un autre enjeu pour lequel un minimum d’études sera requis.

Bien sûr, on peut s’opposer dès maintenant au nucléaire pour des raisons sécuritaires, peu importent les coûts. Mais il faut reconnaître que cette fois, le travail en coulisses de la société d’État sert à éclairer le débat.

La nouvelle, sortie dans Le Journal de Montréal, montre à quel point le gouvernement caquiste et Hydro-Québec sont sous pression pour produire plus d’énergie.

Le contrat de la centrale hydroélectrique de Churchill Falls sera renégocié avec Terre-Neuve-et-Labrador. Les groupes turbine-alternateur des centrales existantes seront remplacés pour en augmenter la production. D’autres barrages sur des rivières québécoises ne sont pas exclus, bien que les meilleurs sites soient déjà pris et que l’impact environnemental sur les autres soit de plus en plus dénoncé. Des appels d’offres ont été lancés en éolien, et d’autres sont prévus. Mais cela ne suffira pas. Il faudra encore plus d’électricité.

Cela ne justifie pas pour autant de relancer Gentilly.

À l’époque, les coûts de la réfection avaient explosé à la centrale jumelle de Point Lepreau, au Nouveau-Brunswick. On anticipait la même chose chez nous. Rien n’indique que cela ait changé.

Ces dernières années, l’Alberta, la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick ont abandonné de nouveaux projets nucléaires. À l’exception de Point Lepreau, toutes les centrales en activité du pays sont désormais en Ontario.

Cet été, le gouvernement Ford a annoncé l’agrandissement de sa centrale de Bruce Power sur les rives du lac Huron. Sa puissance doublerait, ce qui en ferait de nouveau la plus grosse au monde.

Ailleurs au Canada, des projets exploratoires de petites centrales modulaires sont en chantier, avec l’aide financière du fédéral, mais aucun n’est encore concluant.

Avec ses centrales nucléaires, l’Ontario demeure l’exception.

Si les besoins en énergie sont immenses, la contribution de Gentilly-2 ne serait pas déterminante.

Mettons les chiffres en perspective. La centrale fournissait 5 TWh par année. Cela équivaut à 5 % du déficit énergétique à combler. À titre de comparaison, l’appel d’offres en cours pour l’éolien vise l’ajout de 4 TWh.

Et l’efficacité énergétique ?

En 2022, Hydro-Québec promettait de récupérer 8,2 TWh d’ici la fin de la décennie. C’était modeste. Cela correspondait à moins du dixième des nouveaux besoins. Même pas assez pour compenser les contrats d’exportation à New York (10,4 TWh) ou au Massachusetts (9,45 TWh).

Or, sous pression, la société d’État a revu son objectif à la hausse en avril dernier. Elle voudrait s’approcher autant que possible du plein potentiel d’efficacité énergétique, estimé à 25 TWh. L’équivalent de cinq centrales nucléaires.

Les caquistes risquent de trouver que Gentilly offre relativement peu de térawattheures pour un coût politique considérable.

Tant que le Québec gaspillera de l’énergie, tant que les cibles d’efficacité énergétique n’auront pas été atteintes, le retour au nucléaire sera difficile à vendre.

Mais on n’est pas rendu là. Pour l’instant, la société d’État ne fait que documenter toutes les options, et ce n’est pas un scandale.

Précision :
Une précédente version de cette chronique avançait que la nouvelle cible d’efficacité énergétique de la société d’État était de 25 Twh. En fait, l’objectif est de s’approcher autant que possible de ce chiffre, qui correspond au plein potentiel d’efficacité énergétique.