Au Québec, on s’émeut de devoir construire l’équivalent d’une moitié d’Hydro-Québec pour répondre aux besoins futurs en énergie. Mais ce n’est rien face au défi qui attend le reste du Canada.

D’ici 2050, la production d’électricité devra doubler, voire tripler*. Et comme d’habitude, les solutions sont déjà connues.

La technologie n’est pas l’obstacle. C’est la politique. Pendant que le ministre fédéral de l’Environnement Steven Guilbeault essaie d’accélérer la transition vers les énergies renouvelables, l’Alberta la ralentit.

Jeudi, Ottawa a présenté son projet de règlement pour que la production d’électricité au pays devienne carboneutre en 2035. Or, quelques jours plus tôt, la première ministre de l’Alberta décrétait à la surprise générale un moratoire de près de sept mois sur les énergies renouvelables.

Le document de consultation de M. Guilbeault rappelle que la collaboration des provinces sera requise pour ce sujet dont la compétence est partagée entre le fédéral et les provinces. Il ne croyait pas si bien dire…

Sa proposition est pourtant raisonnable. Des exceptions sont prévues pour les communautés nordiques et les petits projets de moins de 25 mégawatts – par exemple une génératrice pour un hôpital. Pour le reste, le gaz sera permis à condition qu’il reste une source d’appoint (450 heures par année) ou qu’il s’accompagne d’une technologie captant 95 % de ses émissions de carbone.

Du point de vue de la Saskatchewan, de l’Alberta et de la Nouvelle-Écosse, qui se chauffent encore beaucoup au gaz, la bouchée est énorme. Par exemple, en Alberta, le gaz assure 75 % des besoins.

Trois choses devraient toutefois rassurer ces provinces.

D’abord, le règlement n’entrera en vigueur qu’en 2035. Cela laisse du temps à l’industrie pour se préparer.

Ensuite, les carottes précèdent le bâton. Les différents programmes d’aide et de subvention déjà offerts totalisent 40 milliards de dollars.

Enfin, le marché a commencé à opérer la transition.

Pour les émissions de gaz à effet de serre (GES), on échoue à respecter nos cibles. Mais pour les énergies renouvelables, on les atteint. Et ce, encore plus vite que prévu.

Par exemple, en 2015, le charbon comptait pour la moitié de l’électricité en Alberta. La province prévoyait alors éliminer cette source d’énergie d’ici 2030. Finalement, elle devrait le faire dès cette année.

La cible de 1000 mégawatts en énergie solaire a quant à elle été atteinte l’année dernière, soit 20 ans avant la date fixée. C’est d’ailleurs en Alberta que l’énergie solaire photovoltaïque connaît la plus forte croissance au pays.

Depuis 2000, les GES du secteur de l’électricité ont diminué de plus de moitié au pays. La raison est simple : le solaire et l’éolien coûtent de moins en moins cher, et le charbon n’est plus concurrentiel. Cette tendance devrait s’accélérer. Selon la Régie de l’énergie du Canada, d’ici 2050, les coûts des énergies solaire et éolienne baisseront respectivement de 62 % et de 14 %.

C’est ce mouvement, utile pour l’économie et nécessaire pour l’environnement, que M. Guilbeault veut accélérer. Le Canada ne fait que suivre le courant. Tous les pays du G7 partagent l’objectif d’électricité carboneutre pour 2035.

Même si la demande mondiale en pétrole devrait augmenter à court terme avant de plafonner d’ici la fin de la décennie, cette modeste croissance reste inférieure à celle des énergies renouvelables.

En mai, le président Biden a présenté son plan pour l’électricité carboneutre, qui ressemble à celui d’Ottawa. Des États républicains comme le Texas veulent lui mettre des bâtons dans les roues. L’Alberta pourrait jouer le même rôle au Canada.

Pour justifier son bref moratoire sur les énergies renouvelables en Alberta, la première ministre Danielle Smith dit répondre aux inquiétudes des régions. En effet, le développement rapide de l’éolien et du solaire a dérangé des collectivités rurales. Or, le moratoire est une mesure qui va « au-delà de leurs attentes », a avoué le président de cette association de municipalités au National Observer.

L’Alberta est plus tolérante avec le secteur fossile. L’industrie pétrolière et gazière doit quelque 268 millions en taxes foncières impayées. Elle a aussi abandonné des puits contaminés, dont la facture pour le public s’élève à des dizaines de milliards. Mme Smith a réagi en leur offrant un programme de subventions pour le nettoyage, même si elles ne manquent pas d’argent.

Le moratoire met sur la glace plus de 90 projets solaires et éoliens dont les investissements avoisinent les 25 milliards de dollars.

Vrai, s’il n’est pas renouvelé, les dommages seront limités.

À Ottawa, les libéraux rappellent que malgré l’indignation et les contestations juridiques, toutes les provinces ont fini par tarifier le carbone. Ils espèrent que la même chose se passe avec l’électricité.

Pour l’Alberta, le déclin des énergies fossiles est un changement immense. On comprend que cela déstabilise. Mais cela ne justifie pas que des conservateurs traitent l’énergie comme un symbole. Comme une façon d’afficher leurs valeurs, même quand cela se fait en nuisant à la fois à l’environnement et à l’économie.

* Selon les projections de l’Institut climatique du Canada, rapportées dans le plus récent rapport de la Régie de l’énergie du Canada

Lisez le rapport Avenir énergétique du Canada en 2023