Face aux énormes besoins énergétiques liés à l’électrification de la société, évaluer la faisabilité et les coûts d’une reprise des activités de la centrale nucléaire Gentilly-2 est utile, ne serait-ce que pour confirmer les coûts d’un tel scénario, croit un professeur spécialisé en énergie.

« Michael Sabia a déjà expliqué avoir l’esprit ouvert. Nous sommes à évaluer différentes options possibles pour accroître la production d’électricité propre, explique Francis Labbé, porte-parole d’Hydro-Québec dans un courriel. Il serait irresponsable à ce moment-ci d’exclure certaines filières énergétiques et prématuré de tirer des conclusions. Concernant la centrale Gentilly-2, une évaluation de l’état actuel de la centrale est en cours, afin d’évaluer nos options et d’alimenter nos réflexions sur l’offre énergétique future du Québec. »

Le Journal de Montréal avait révélé la nouvelle jeudi matin.

Le cabinet du ministre de l’Énergie Pierre Fitzgibbon a donné son aval. « L’analyse réalisée à Gentilly-2 par Hydro-Québec est simplement préliminaire, a fait savoir son cabinet. L’idée est de faire un état des lieux des actifs de la centrale. Avec la transition énergétique, il faut regarder les options qui nous aideront à augmenter notre production d’électricité pour décarboner le Québec. »

Le Québec a besoin de 100 térawattheures (TWh) d’énergie supplémentaires pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050, selon le plan stratégique 2022-2026 d’Hydro-Québec. Actuellement, le Québec produit environ 200 TWh.

L’énergie nucléaire a des avantages, explique le professeur de HEC Montréal et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie Pierre-Olivier Pineau. « Sa production sans GES est stable : pas d’intermittences comme pour l’éolien ou le solaire, mentionne-t-il. C’est aussi très concentré géographiquement et avec peu d’impacts sur les paysages. Si la population québécoise veut éviter de multiplier les parcs éoliens, le nucléaire pourrait être choisi. »

Il a aussi ses inconvénients comme ses déchets radioactifs et son coût. M. Pineau souligne que le gouvernement de Pauline Marois avait fermé la centrale en raison du coût élevé qu’aurait entraîné sa réfection.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Le site de Gentilly-2 à Bécancour, en 2017

« Plus de 12 cents le kilowattheure, selon Hydro-Québec en 2011, se souvient l’universitaire. En 2023, je ne vois pas comment ces coûts pourraient baisser : on a entamé le démantèlement et tout coûte plus cher dans la construction. Je ne serais pas étonné qu’on arrive à des coûts dépassant les 15 cents par kilowattheure. »

Malgré les avantages du nucléaire, le professeur n’est pas convaincu que la remise en service de la centrale représente le scénario optimal pour le Québec.

L’étude proposée est intéressante pour documenter le nucléaire au Québec. Mais je pense qu’il vaut mieux miser sur l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables à plus court terme.

Pierre-Olivier Pineau, professeur de HEC Montréal

« Pendant ce temps, poursuit-il, les petits réacteurs modulaires SMR vont se développer et leurs coûts seront mieux connus » – on pourra donc en adopter lorsque d’autres États auront expérimenté cette filière.

Un débat public, svp

La nouvelle a fait réagir les partis de l’opposition. « C’est inquiétant que M. Sabia et M. Fitzgibbon [ministre de l’Énergie] veuillent aujourd’hui réouvrir le dossier sans avoir la moindre démonstration que c’est nécessaire pour remplir nos objectifs de transition écologique et sans le moindre débat public », déplore Haroun Bouazzi, député solidaire de Maurice-Richard et porte-parole de la deuxième opposition en matière d’économie et d’énergie. « On apprend la nouvelle sans même que le gouvernement ait présenté les débuts de l’embryon d’un plan de transition énergétique. »

Le critique libéral en la matière, Marc Tanguay, réclame lui aussi une consultation. « Le retour au nucléaire est une énorme décision et il est impératif d’entendre les Québécois et les experts avant d’aller de l’avant. Il est inacceptable que l’avenir énergétique de notre nation soit décidé à huis clos, derrière des portes closes », a-t-il fait savoir par voie de communiqué.

Le débat aurait aussi l’avantage de jauger de l’acceptabilité sociale. Pendant le débat entourant la réfection de Gentilly-2, de 2007 à 2012, les Artistes pour la paix – qui fédérait des personnalités opposées au nucléaire comme Raôul Duguay et Diane Dufresne, selon son site internet – avaient mené une campagne pour sa fermeture. Le groupe n’a pas donné suite à notre demande d’entrevue.

Sur le plan local, M. Pineau n’y voit pas d’enjeu majeur. « Bécancour serait un lieu idéal pour le nucléaire : c’est dans un parc industriel qu’on veut développer davantage. Ce serait donc un approvisionnement très local pour des industries. C’est aussi certain qu’il serait plus facile de construire sur un site qui a déjà accueilli une centrale, plutôt que de développer un nouveau site. »

Démantèlement irréversible

La mairesse Lucie Allard ne donne pas d’entrevue sur le sujet. Dans une déclaration écrite, elle a dit avoir pris connaissance de l’article concernant l’étude de faisabilité sur la relance de la centrale nucléaire Gentilly-2. « Les questions en ce sens ont déjà été posées par le passé, soutient-elle, et il avait été mentionné que le type de démantèlement retenu représentait une option irréversible.

« La Ville est consciente des enjeux que peut poser l’électricité pour la croissance à long terme du parc industriel, poursuit-elle, et considère important que le gouvernement du Québec étudie différentes avenues pour répondre aux besoins grandissants d’énergie. »

Gentilly-2 jusqu’ici

OCTOBRE 1983
Mise en service

2008
Sa remise à niveau est enclenchée.

AVRIL 2011
Incidents nucléaires à Fukushima, au Japon

SEPTEMBRE 2012
Annonce de sa fermeture

AOÛT 2023
Sa relance est envisagée

Source : Hydro-Québec