On s’entend, l’enjeu est majeur. Non seulement les alumineries ne paient pratiquement pas d’impôts ici, mais en plus elles peuvent émettre des gaz à effet de serre sans verser de compensation. D’où l’importance de revenir sur un autre avantage dont elles bénéficient : les rabais sur les tarifs d’électricité.

La question est d’autant plus pertinente que les alumineries demandent environ 1000 mégawatts (MW) d’énergie supplémentaire au gouvernement du Québec, selon ce que j’ai appris. Ces 1000 MW constitueraient un bond de 30 % de leur consommation, dans un contexte de rareté énergétique.

Pour clarifier la question, Hydro-Québec a accepté de me transmettre le tarif d’électricité réellement payé par les alumineries depuis 2015, soit depuis que le gouvernement du Québec – alors libéral – a renégocié à la baisse tous les contrats. Les chiffres d’Hydro valident essentiellement les miens, que j’ai calculés à partir des contrats annexés aux décrets gouvernementaux publiés dans la Gazette officielle.

Ainsi, depuis 2015, les alumineries ont payé un tarif moyen de 3,87 cents le kilowattheure, m’indique Hydro-Québec. Ce tarif est en deçà de celui qui est jugé rentable par la société d’État pour les grands industriels, soit le tarif L.

Ce tarif L, généralement de 5 ¢/kWh, est plus bas pour les clients dont le facteur d’utilisation de la puissance d’Hydro est très élevé, comme c’est le cas des alumineries. Dans ce cas, le tarif L pertinent pour la comparaison est de 4,6 ¢/kWh.

Pour Hydro, l’écart entre ce tarif L de 4,6 cents et le tarif moyen de 3,87 cents des alumineries constitue un manque à gagner de 1,4 milliard depuis huit ans, selon mes calculs, soit une moyenne de 178 millions par année.

Les alumineries paient moins que le tarif L parce que leur approvisionnement en électricité est déterminé en fonction du prix de l’aluminium plutôt que des coûts d’Hydro-Québec. Ces contrats à partage de risque sont autorisés par le gouvernement et non par Hydro.

À long terme, avec de tels contrats, Hydro devrait idéalement obtenir parfois plus que le tarif L, parfois moins. Or, selon les données officielles d’Hydro-Québec, les alumineries ont payé moins que le tarif L chaque année depuis 2015, sauf cette année, où le tarif moyen est de 5,45 cents pour les neuf premiers mois de 2022.

Le redressement tarifaire de 2022 s’explique par l’explosion des prix de l’aluminium le printemps dernier dans le contexte de la guerre en Ukraine. Les prix ont chuté depuis, si bien que le tarif moyen avoisine plutôt 4,7 ¢/kWh en date du 13 décembre 2022, très près du tarif L comparable (4,6 cents).

Entre 2015 et 2021, le tarif a oscillé entre 3,3 cents et 4,4 ¢/kWh.

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Mardi matin, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, a affirmé à l’émission de radio du Saguenay C’est jamais pareil, de Radio-Canada, que le tarif des alumineries avait dépassé le tarif L depuis 2021.

Joint par courriel, son attaché de presse maintient qu’« en 2021 et 2022, dû au prix de l’aluminium, les alumineries ont payé plus que le tarif L ». Les données d’Hydro contredisent le ministre pour l’année 2021.

Au fait, pourquoi comparer au tarif L d’Hydro-Québec ? Parce que c’est le tarif approuvé par la Régie de l’énergie du Québec compte tenu de l’ensemble des dépenses d’Hydro-Québec. Ce tarif incorpore un rendement de l’actif de 8,2 % pour la société d’État.

Bref, en deçà du tarif L, Hydro-Québec perd de l’argent avec les grands industriels. Et pour les alumineries, c’est 1,4 milliard depuis huit ans.

Hydro-Québec, rappelons-le, a la possibilité d’obtenir un prix bien plus élevé. Son récent contrat avec New York a été signé pour un prix de 9,75 cents US à partir du printemps 2026, soit 13,2 cents CAN si l’on convertit avec le taux de change actuel. Le tarif avec New York est indexé de 2,5 % par année pendant la durée du contrat, de 25 ans.

Bien sûr, d’autres facteurs pourraient être pris en compte, par exemple la proximité des alumineries des lignes d’Hydro-Québec, qui réduisent les coûts de transport. Il reste que les rabais soulèvent des questions sur leur rentabilité pour les contribuables, et encore davantage si on compare au contrat avec New York.

À Radio-Canada, Pierre Fitzgibbon a dit qu’il n’était pas question de renégocier les vieux contrats avec les alumineries. Il a toutefois expliqué vouloir moduler la formule de tarification pour les futures allocations d’énergie aux alumineries pour faire en sorte que le tarif soit le plus près possible du tarif L dans le bas du cycle de l’aluminium.

Le ministre juge que les projets de décarbonation des alumineries, notamment avec la technologie Elysis, feront en sorte que les acheteurs mondiaux seront prêts à payer plus cher pour l’aluminium du Québec. Il dit travailler avec les alumineries pour que la prime verte se reflète dans le tarif d’électricité.

Cette décarbonation des alumineries exigera probablement un peu plus d’énergie qu’actuellement, confirme maintenant le ministre. En plus, les alumineries demandent des mégawatts additionnels au gouvernement pour assurer leur croissance.

Rio Tinto m’a confirmé dernièrement que sa demande de nouvelle énergie avoisine les 600 MW. Et Pierre Fitzgibbon estime que les demandes de l’ensemble des alumineries seraient d’environ 1000 MW.

« On parle de 1000 MW pour 4-5-6 milliards d’investissements, c’est majeur. Le vrai débat, c’est comment on va tarifer l’excédent », a-t-il dit à mon collègue Julien Arsenault, en marge d’une entrevue mardi sur un autre sujet.

Bref, la nouvelle énergie serait accordée aux alumineries avec un tarif à partage de risque, encore une fois, mais en tenant compte d’une prime verte.

De grandes questions se posent, dans ce contexte. D’abord, le gouvernement Legault fera-t-il des investissements des alumineries une condition incontournable pour l’obtention de tarifs avantageux, contrairement à ce qui fut le cas ces dernières années ?

Ensuite, qui nous dit que les acheteurs mondiaux seront disposés à payer plus cher pour l’aluminium vert du Québec ? Que les fabricants de vélos en aluminium ne préféreront pas acheter de l’aluminium noir chinois, souvent produit avec de l’énergie au charbon, pour avoir un produit fini moins cher ?

En somme, pourquoi faut-il que les contribuables partagent ce risque, une fois de plus, surtout quand on constate les résultats passés de cette formule de tarification et la rareté énergétique ?

Lire La chronique « Le Québec, paradis fiscal des alumineries »