Dans son temps, le complexe hydroélectrique de la Baie-James a été un des plus beaux fleurons de l’ingénierie québécoise. Même sur le plan politique, ce fut une réussite avec la signature du premier traité de l’ère moderne avec une nation autochtone.

Tout le Québec en était fier, et à juste titre. Et on ne peut minimiser l’effet de cette réussite sur le retour au pouvoir de Robert Bourassa en 1985.

Mais le développement de la Baie-James procédait d’un modèle de développement économique bien précis : 1) utiliser cette électricité à bas prix pour attirer des industries énergivores et créer ainsi de bons emplois bien payés et 2) exporter les surplus de cette énergie propre aux États-Unis.

C’était le modèle en vogue dans les années 1970. Mais 1970, c’était il y a un demi-siècle.

Aujourd’hui, la démission de Sophie Brochu comme présidente-directrice générale d’Hydro-Québec nous sert de révélateur pour comprendre que la vision du développement économique du gouvernement Legault est encore celle des années 1970 et de la Baie-James.

Le problème, c’est qu’en ce demi-siècle, le monde a beaucoup changé. Dans les années 1970, le chômage était le problème numéro un. Il était difficile de penser que le Québec serait pratiquement au plein emploi et que le principal problème serait plutôt une pénurie de main-d’œuvre. Pas plus qu’on ne pouvait imaginer que les États-Unis allaient souvent refuser notre énergie propre à cause d’un syndrome « pas dans ma cour » touchant les pylônes et les lignes de transmission.

Mais surtout, on n’en est plus au développement à tout prix. On parle plutôt de développement durable, ce qui est peu compatible avec le détournement de rivières et la création d’immenses réservoirs. Bref, la Baie-James, on est contents de l’avoir, mais si c’était à refaire aujourd’hui, il n’est pas du tout certain qu’on referait la même chose.

Dans les milieux d’affaires au Québec, on n’expose que très rarement des divergences fondamentales en public. Le Québec est petit et l’avenir dure longtemps, alors mieux vaut être prudent. Mais puisque le gouvernement est aussi l’unique actionnaire d’Hydro, on sait qui va imposer sa vision à la fin.

C’est ce qui explique que, tant au gouvernement que du côté de Mme Brochu, on ait affirmé qu’il n’y avait pas de « différences d’orientation » entre le gouvernement et la PDG d’Hydro.

Mais en faisant, dans la foulée, le portrait de celui ou celle qui pourrait succéder à Mme Brochu, M. Legault s’est trouvé à confirmer ces différences d’orientation.

Il faudra quelqu’un qui est en « mode développement étant donné qu’il faut augmenter de 50 % la capacité d’Hydro-Québec ». Le tout venant d’un premier ministre qui, en pleine campagne électorale, avait quasiment déjà commandé la construction de nouveaux barrages.

L’augmentation de 50 % d’ici 2050 pour parvenir à la carboneutralité fait partie du plan stratégique d’Hydro-Québec publié le printemps dernier. Mais nulle part n’y indique-t-on qu’il soit nécessaire de songer dès maintenant à construire de nouveaux barrages.

Ce que le plan stratégique affirme, cependant, c’est qu’il faut mieux consommer l’énergie électrique, en augmentant l’efficacité énergétique des bâtiments, par exemple. Le mégawatt le plus rentable est celui qu’on ne consomme pas.

Mais, cette semaine, vous n’aurez jamais entendu M. Legault parler d’économies d’énergie, ou de ce qui est dans son pouvoir, soit d’amender le Code du bâtiment pour rendre ces économies possibles. Il ne parle pas non plus de développer l’énergie éolienne. Ni de rendre les centrales existantes plus productives. Toutes choses qui sont dans le plan stratégique d’Hydro.

Très clairement, le premier ministre Legault, tout comme son ministre de l’Énergie Pierre Fitzgibbon, et la PDG d’Hydro ne sont pas sur la même longueur d’onde.

Pas plus tard que jeudi, M. Fitzgibbon a dit qu’il était « favorable à libérer des mégawatts à toute entreprise qui crée de la richesse pour le Québec ». On le voit, le ministre n’a jamais été très loin du « Dollarama de l’énergie » que disait craindre Mme Brochu l’automne dernier.

En fait, on est exactement dans ce qu’elle craignait, soit attirer des entreprises énergivores comme des alumineries pour ensuite être obligé de construire des barrages pour les approvisionner. Ce qui est exactement le contraire de ce que voulait Mme Brochu. En fait, c’est aussi le contraire du développement durable.

Cela fait depuis qu’il est arrivé au pouvoir qu’on dit que l’angle mort du gouvernement Legault est la question environnementale. On peut dire maintenant que sa vision du développement économique n’en tient pas compte non plus.

M. Legault répète souvent qu’il est obsédé par la création de richesse. Mais les moyens de créer cette richesse ne sont plus les mêmes qu’il y a 50 ans.

Sauf que, quand le gouvernement de la CAQ a pris le train du développement économique, MM. Legault et Fitzgibbon sont descendus à la station « Baie-James ». Et ils y sont toujours…