C’est une véritable catastrophe qui s’annonce en matière de justice au Québec.

On l’a déjà écrit⁠1, mais on va le répéter parce que c’est trop important : la juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau, a pris une décision irresponsable en diminuant le nombre de jours siégés par ses juges en chambre criminelle.

Résultat : comme il y a moins de jours siégés et qu’il faut respecter les délais de l’arrêt Jordan, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) devra donner la priorité à certains dossiers. Il a annoncé à la mi-février qu’il donnera la priorité aux crimes les plus graves comme les meurtres, les violences sexuelles et conjugales, la maltraitance d’enfants et d’aînés. S’il doit faire des choix, il ne mettra pas en priorité des dossiers de stupéfiants, d’armes à feu sans blessures, des crimes économiques et des méfaits, ont révélé nos collègues Lila Dussault et Hugo Pilon-Larose⁠2.

On ne s’en va plus droit dans le mur. On commence à le frapper. Le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette, et la juge en chef Rondeau ont chacun leurs torts dans ce dossier. Mais la seule personne qui peut appuyer sur le frein, c’est la juge en chef Rondeau. On l’implore de le faire. Plus elle attend, plus la confiance du public envers le système de justice risque de fléchir.

La crise n’est pas aussi aiguë en matière de justice civile, mais il y a néanmoins un grave problème d’accès à la justice. Les délais ne cessent de s’allonger.

À la Cour des petites créances – censée être un exemple de justice accessible –, les délais pour une audience sont en moyenne d’un an et 10 mois (664 jours), comparativement à 305 jours en 2017. C’est inacceptable.

Avec son projet de loi 8, qui a fait l’objet de consultations à la mi-février, le ministre Jolin-Barrette prend le taureau par les cornes. Bravo ! Il y a beaucoup de propositions intéressantes pour l’accès à la justice dans ce projet de loi.

Premièrement, la médiation aux petites créances sera obligatoire pour les causes de moins de 5000 $ (60 % des causes en médiation se soldent par un règlement). S’il n’y a pas d’entente, on proposera aux parties d’aller devant un arbitre. Un mécanisme de retrait permettra de passer devant un juge des petites créances.

Deuxièmement, on raccourcit les délais et les procédures (maximum de cinq pages pour une demande et de deux pages pour une contestation) pour tous les dossiers à la Cour du Québec. On interdit les interrogatoires préalables pour les dossiers de moins de 50 000 $. Bref, on diminue ce qu’on appelle affectueusement les « avocasseries ».

Le ministre Jolin-Barrette a déposé un excellent projet de loi, qui est néanmoins perfectible. Plusieurs groupes lui ont fait des suggestions lors des consultations.

On y va de notre propre suggestion : hausser le seuil maximal aux petites créances de 15 000 $ à 25 000 $. En Ontario, on va aux petites créances jusqu’à 35 000 $. Ça améliorerait l’accès à la justice car les parties se représentent elles-mêmes aux petites créances, sans avocat.

On a gardé le plus spectaculaire pour la fin : Québec veut que les notaires puissent devenir juges à la Cour du Québec (c’est réservé aux avocats). Ça ne changera pas grand-chose en matière d’accès à la justice. C’est une décision un peu surprenante car les avocats sont mieux préparés à devenir juges (ils font des litiges, contrairement aux notaires) et il ne manque pas de bons candidats. En même temps, les notaires peuvent déjà être juges administratifs et arbitres. Ce n’est pas la fin du monde qu’ils puissent aussi devenir juges.

L’essentiel du projet de loi n’est pas dans ce débat notaires-avocats, mais dans toutes les autres mesures qui amélioreront l’accès à la justice civile. À condition que Québec hausse aussi le financement du système de justice, qui manque notamment de greffiers et de constables spéciaux.

1. Lisez la chronique « Justice : on s’en va droit dans le mur » 2. Lisez l’article « Explosion des délais judiciaires : des choix douloureux en vue » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion