On a trois mauvaises nouvelles à vous annoncer à propos de notre système de justice criminelle.

La première : le système est actuellement en crise. Principalement parce qu’on manque de personnel de soutien dans les palais de justice.

La deuxième : la crise va s’aggraver. Parce que la Cour du Québec a décidé que ses juges en chambre criminelle siégeront désormais moins souvent. Ça rallongera les délais, au point où environ le tiers des causes seraient à risque de tomber à l’eau, selon le ministère de la Justice.

La dernière et la plus déprimante : il n’y a pas de solution en vue.

Les deux seuls protagonistes pouvant dénouer la crise, la juge en chef de la Cour du Québec Lucie Rondeau et le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette, se sont engagés dans un féroce litige devant les tribunaux. Aucun des deux ne veut céder un pouce, comme l’a expliqué notre collègue Louis-Samuel Perron dans une enquête publiée récemment. Tout ça alors que le système est « presque au point de rupture », dit la bâtonnière du Québec MCatherine Claveau.

Lisez l’enquête de notre collègue Louis-Samuel Perron

Jusqu’à cet automne, les juges de la chambre criminelle de la Cour du Québec siégeaient deux jours sur trois (ils délibéraient et faisaient de la gestion de causes la troisième journée). Ils siègent maintenant une journée sur deux (ratio 1/1), a tranché la juge en chef Rondeau. Ce sont 4500 jours siégés de moins par année.

Avec cette décision mal avisée, la Cour du Québec vient de rajouter une énorme pression sur un système à bout de souffle.

À Montréal, un procès de deux jours est fixé dans 14 mois. Le délai maximal de l’arrêt Jordan est de 18 mois (dans 95 % des causes), sinon il y a un risque d’arrêt des procédures.

Les avocats de la défense savent de servir d’une calculatrice.

Pour compenser, la juge en chef Lucie Rondeau a suggéré à Québec de créer 41 nouveaux postes de juges. Québec a dit non, la juge en chef Rondeau a instauré son ratio 1/1, et Québec conteste cette décision devant les tribunaux. Voilà la définition d’un dialogue de sourds…

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

La juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau

L’indépendance judiciaire est un pilier de notre État de droit. En vertu de ce principe cardinal, c’est à la juge en chef de la Cour du Québec, et à elle seule, d’administrer son tribunal et de déterminer la charge de travail de ses juges. On ne remet surtout pas ça en question.

Mais ce n’est pas parce que vous avez le pouvoir de prendre une décision irresponsable que vous devez le faire.

En se basant sur un rapport de 43 pages, la juge en chef Rondeau a décidé que la complexification des causes et du droit justifie le passage au nouveau ratio 1/1. Bien sûr que le droit criminel est devenu plus complexe. Le nouveau ratio est peut-être justifié dans certains cas. Mais… on n’en a aucune preuve ! Le rapport ne contient à peu près pas de chiffres et aucune comparaison avec les juges ailleurs au pays. Bref, la juge en chef Rondeau n’a pas offert le début d’un commencement de preuve que le nouveau ratio 1/1 est justifié.

La Cour du Québec a le devoir moral de prendre ses décisions de gestion dans l’intérêt supérieur de la justice.

On implore donc la juge en chef Rondeau de revenir à l’ancien ratio. Au moins le temps de trouver un compromis acceptable. Même si Québec cédait, il faudrait 18 mois pour trouver les juges supplémentaires.

Si personne ne cède, le Directeur des poursuites criminelles et pénales a confirmé qu’il serait obligé de prendre des « décisions difficiles » et de prioriser certains dossiers au détriment d’autres afin de respecter l’arrêt Jordan.

À l’heure actuelle, le plus important n’est pas de savoir à qui la faute, mais bien qui peut appuyer sur le frein avant qu’on rentre dans un mur à pleine vitesse. Cette personne, c’est la juge en chef Rondeau.

Ça ne veut pas dire que le gouvernement Legault n’a pas ses torts. Jusqu’à la décision de la Cour du Québec, la majorité des retards actuels du système étaient attribuables au gouvernement du Québec.

Ça fait des années que les palais de justice manquent de personnel de soutien, particulièrement des greffières-audiencières. Le 28 novembre dernier, 10 salles n’ont pu ouvrir le matin au palais de justice de Montréal parce qu’on manquait de personnel (c’est la moitié des salles de la Cour du Québec). Pour les greffières-audiencières, le problème est simple : elles sont sous-payées (maximum de 49 661 $ par an) par rapport aux greffiers municipaux à Montréal (maximum de 69 100 $) et au secteur privé. Il manque actuellement 50 greffiers et 50 adjoints à la magistrature, qui agissent aussi comme greffiers.

Ce problème-là, Québec peut le régler seul et rapidement.

En savoir plus
  • Entre 47 000 et 64 000
    Nombre de causes pénales (sur 170 000 causes) à risque de dépasser les délais de l’arrêt Jordan si les juges de la Cour du Québec continuent de siéger avec le ratio 1/1, selon le ministère de la Justice du Québec.
    Source : ministère de la Justice du Québec
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