(Québec) Simon Jolin-Barrette a déposé jeudi le projet de loi 12, qui prévoit qu’une femme violée pourra à l’avenir s’opposer à ce que son enfant ait un lien de filiation avec son agresseur et que celui-ci soit responsable de contribuer à satisfaire aux besoins de l’enfant pour que « ni la mère ni l’enfant ne soient pénalisés financièrement par cette décision ».

D’autre part, le ministre de la Justice propose dans son projet de loi d’encadrer la grossesse pour autrui, c’est-à-dire le recours aux mères porteuses. Ces deux enjeux, totalement distincts, s’inscrivent dans un nouveau volet de l’immense chantier qu’est la réforme du droit de la famille. M. Jolin-Barrette avait accepté en juin dernier de scinder le projet de loi 2, une volumineuse pièce législative de 360 articles, afin d’adopter les articles concernant l’identité de genre avant l’élection. Le projet de loi 12 est la suite de cette vaste réforme.

Le préambule du projet de loi explique qu’il « permet à [une mère et à son] enfant, lorsqu’il est issu d’une agression sexuelle, de contester sa filiation avec l’agresseur ou de s’opposer à ce qu’une telle filiation soit établie. Il rend de plus cet agresseur responsable de contribuer à satisfaire aux besoins de l’enfant, par le paiement d’une indemnité à la personne victime de l’agression sexuelle ».

« Une mère qui a vécu un évènement aussi traumatisant ne doit pas vivre avec la peur qu’un jour son agresseur cherche à avoir des droits sur son enfant », a tranché M. Jolin-Barrette.

La semaine dernière, le ministre avait annoncé à Océane (nom fictif) qu’il avait été particulièrement touché par son histoire, racontée par la chroniqueuse Isabelle Hachey de La Presse1. En 2019, alors qu’elle n’avait que 17 ans, la jeune femme a été violée par son colocataire et elle est tombée enceinte. L’agresseur, qui est aujourd’hui en prison et dont le nom a été inscrit au registre des délinquants sexuels à perpétuité, se bat pour être reconnu comme le père du garçon d’Océane et veut s’impliquer dans sa vie, contrairement aux volontés de la mère.

« Tout le Québec a été ébranlé et choqué par l’histoire d’Océane qui a été rapportée par le quotidien La Presse. Nous sommes tous d’accord que c’est une situation qui est intenable, qui est ignoble. Le message que nous souhaitons envoyer à Océane aujourd’hui, c’est que grâce à elle, grâce à son témoignage, grâce à sa voix, les lois vont changer », a déclaré le ministre de la Justice au Parlement de Québec.

M. Jolin-Barrette a ajouté qu’Océane aura des leviers à sa disposition une fois le projet de loi adopté. « Le projet de loi prévoit que, lorsque la paternité est déjà établie, on donne la possibilité à la mère, qui est la tutrice de l’enfant, de faire une demande au tribunal et de mettre fin à la filiation qui avait déjà été établie. Ça voudrait dire qu’Océane pourrait présenter une demande au tribunal pour mettre fin à la filiation de l’enfant et, de la même façon, dans le cadre de la même demande, demander une indemnité pour subvenir aux besoins de l’enfant », a-t-il dit.

Selon des données citées par Simon Jolin-Barrette, il y aurait chaque année au Québec 170 enfants qui naissent à la suite d’une agression sexuelle. Une mère dont l’agresseur n’a pas été condamné en justice aura aussi des recours, prévoit le projet de loi 12. « La mère va pouvoir prendre un recours en matière civile, où le fardeau de preuve est beaucoup moins élevé [qu’en matière criminelle]. Donc, c’est selon la prépondérance des probabilités, un fardeau de preuve à 50 plus un plutôt que hors de tout doute raisonnable », a dit le ministre.

Protéger les mères porteuses 

Par ailleurs, le projet de loi 12 déposé par Simon Jolin-Barrette s’attaque à la question du recours aux mères porteuses. À l’heure actuelle, les contrats signés entre des mères porteuses et des parents d’intention sont invalides au Québec, où le Code civil les considère comme « nuls de nullité absolue ».

Le gouvernement propose de reconnaître « la grossesse pour autrui et [de l’encadrer] afin de protéger les intérêts de l’enfant et de protéger les mères porteuses dans le cadre d’une telle grossesse ».

Le projet de loi prévoit entre autres « l’obligation de conclure une convention de grossesse pour autrui avant le début de la grossesse ainsi que l’obligation d’obtenir, après la naissance de l’enfant, le consentement de la personne qui lui a donné naissance à ce que le lien de filiation avec l’enfant soit établi exclusivement à l’égard des parents d’intention ».

« Le projet de loi institue donc un processus clair, prévisible et surtout sécuritaire pour tous. Celui-ci s’appuie sur plusieurs principes fondamentaux. Notamment la femme qui porte l’enfant conserve l’entière autonomie de disposer de son corps comme elle l’entend. La femme qui porte l’enfant peut résilier la convention de grossesse pour autrui unilatéralement en tout temps. La rémunération est interdite, mais le remboursement de certaines dépenses est admissible, et les parents d’intention qui changeraient d’idée en cours de route ne peuvent pas abandonner l’enfant », a expliqué M. Jolin-Barrette.

« Le projet de loi permet l’établissement légal de la filiation d’un enfant issu d’un tel projet parental lorsque toutes les parties à la convention sont domiciliées au Québec à la condition, notamment, que la convention soit conclue par acte notarié en minute après la tenue d’une séance d’information sur les implications psychosociales et sur les questions éthiques que le projet parental implique », précise-t-on également dans le préambule du projet de loi. Québec exclut par ailleurs de permettre la pluriparentalité, même si la Coalition des familles LGBT+ s’adresse aux tribunaux pour obtenir qu’un enfant puisse légalement avoir plus de deux parents.

« Il n’y a aucune étude qui démontre que c’est favorable aux intérêts des enfants d’avoir plus de deux parents. On fait le choix qu’au point de vue légal, il n’y ait que seulement deux parents », a conclu le ministre.

1. Lisez « Une victime fera changer la loi »