Une fenêtre s’ouvre sur l’écran du portable et le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, apparaît devant Océane*. Il a de bonnes nouvelles. « J’ai été particulièrement touché par votre histoire l’été dernier et je pense que l’ensemble du Québec a été touché par votre histoire », commence le ministre.

« Je tenais à vous le dire personnellement : grâce à vous, grâce au fait que vous ayez dénoncé, on va changer les lois, on va changer les façons de faire. Ça ne pourra plus arriver. »

Installée à la table de cuisine d’une tante, devant l’ordinateur, Océane esquisse un sourire. La jeune femme contribuera donc à faire évoluer l’état du droit au Québec. À corriger une aberration contenue dans le Code civil. Ce n’est pas rien.

Le ministre Jolin-Barrette a sollicité cette rencontre en visioconférence avec Océane, vendredi, pour lui annoncer ceci en primeur : il compte apporter très prochainement des modifications législatives pour empêcher un agresseur sexuel de revendiquer la paternité d’un enfant conçu lors d’un viol.

Autrement dit, le ministre voulait annoncer à Océane que grâce à son courage, aucune autre femme, au Québec, n’aurait à subir le cauchemar qu’elle a subi.

Je vous ai raconté l’histoire d’Océane, dans une chronique qui a fait beaucoup de bruit, en août dernier1. Elle n’avait que 17 ans quand elle a été violée par son colocataire, en 2019. Elle est tombée enceinte à la suite de l’agression et a décidé de garder l’enfant.

Le violeur, lui, a pris le chemin de la prison, non sans avoir agressé trois autres femmes, en Mauricie. Il en a pris pour plus de cinq ans. Son nom a été inscrit au registre des délinquants sexuels à perpétuité. Du fond de sa cellule, il se bat désormais pour être reconnu comme le père du garçon d’Océane.

Détail particulièrement choquant de cette affaire : l’agresseur a eu le culot de s’adresser au tribunal pour que l’enfant soit soumis à un test d’ADN.

Rien, dans la loi, ne l’empêchait de faire cette demande. En avril 2022, une juge de la Cour supérieure lui a même donné raison, ordonnant à Océane de se rendre à une clinique pour établir l’empreinte génétique de son enfant. Résultat : le violeur en était bel et bien le père biologique.

Cet homme voulait – et veut toujours – s’impliquer dans la vie du garçon, aujourd’hui âgé de 3 ans. Il espère notamment faire inscrire son nom de famille sur le certificat de naissance de l’enfant.

« Ce que vous avez vécu avec la demande en filiation, cela n’avait pas de sens, admet Simon Jolin-Barrette, en s’adressant à Océane. Je voulais vous dire qu’on a travaillé depuis les derniers mois sur différents scénarios pour changer les lois, pour faire en sorte que ce genre de situations là ne se reproduisent plus. »

La juge de la Cour supérieure n’avait pas erré en ordonnant ce test d’ADN. Elle s’en était tenue à ce que prescrit le Code civil. Elle n’avait tout simplement pas à prendre en compte les circonstances de la conception.

Cette situation fait en sorte qu’au Québec, rien n’interdit à un violeur de revendiquer sa paternité devant les tribunaux, même s’il a été condamné pour le viol au cours duquel l’enfant a été conçu. C’est absurde, mais c’est la loi.

Il aura fallu que l’histoire d’Océane éclate au grand jour, dans La Presse, pour qu’on réalise avec stupeur qu’il y avait un angle mort dans le droit de la famille. Même le ministre de la Justice est tombé des nues.

« La loi, telle qu’elle avait été écrite, n’avait pas été réfléchie pour une situation comme celle que vous avez vécue, explique-t-il à Océane. Alors, je pense que c’est important que les élus amènent les corrections nécessaires à la loi. On est là pour ça, justement. Pour faire des lois qui permettent de protéger les personnes victimes. »

« Je suis contente de vous parler. Vraiment contente. Mais c’est encore un stress que je vis. Et que je ne veux plus vivre. À chaque fois que j’en reparle… je l’ai dans le cœur. Jamais on ne peut enlever ça », confie Océane à Simon Jolin-Barrette.

Elle lui dit également qu’elle vit dans la peur. Elle redoute le moment où son agresseur sortira de prison. Parfois, elle songe à fuir avec son fils en laissant tout derrière. Mais elle ne peut pas. À cause de cet homme qui l’a violée.

Mettons que je voudrais changer de pays, il faudrait l’accord des deux parents. Je ne peux même pas voyager avec mon garçon à cause de cette personne-là.

Océane, s’adressant au ministre Simon Jolin-Barrette

Océane est heureuse de faire avancer la cause… mais elle aimerait que la sienne avance, aussi. Pour elle, le temps presse.

Les modifications législatives arriveront peut-être trop tard pour la jeune femme, toujours empêtrée dans les démarches judiciaires. Le 30 janvier, ses avocats ont transmis au tribunal une demande de déchéance de l’autorité parentale du géniteur de son enfant.

« Moi, ce que j’aurais aimé, dans tout ça, c’est me faire dire : il a été reconnu coupable [d’agression sexuelle], dès lors, il ne peut avoir accès à moi, ni à mon garçon. Je ne devrais même pas avoir à demander la déchéance de l’autorité parentale. Ça devrait être automatique. »

C’est exactement l’objectif du projet de loi.

M. Jolin-Barrette lui promet qu’il sera déposé dans un avenir rapproché, disant souhaiter qu’il soit adopté à temps pour qu’elle puisse en bénéficier.

C’est sûr que ce ne sera pas demain matin. Cependant, moi, j’ai bon espoir que d’ici les prochains mois, il y aura un changement qui concernera votre situation.

Le ministre Simon Jolin-Barrette, s’adressant à Océane

On peut tout de même imaginer que ce projet de loi soulèvera quelques débats chez les parlementaires. Où traceront-ils la ligne ? Priveront-ils de droits parentaux uniquement les agresseurs qui ont été condamnés pour leur crime ? Iront-ils plus loin ? Jusqu’où exactement ?

« Ce n’est pas évident, admet le ministre. On travaille activement à trouver une voie de passage. »

Il souligne par ailleurs l’importance « que l’enfant ne soit pas pénalisé financièrement. […] Il y a plusieurs choses à prendre en compte. Mais mon objectif, c’est vraiment que les victimes de viol et leurs enfants soient protégés, autant sur le plan psychologique que sur le plan financier. »

* La Presse a modifié le prénom d’Océane afin de protéger l’identité de la victime et de l’enfant.

1. Lisez la chronique « L’enfant du viol, la vérité et la justice »