Depuis quelques jours, l’administration publique québécoise au sens large (ministères, sociétés, municipalités, etc.) doit communiquer uniquement en français avec les citoyens. Les règles que le ministre Roberge défend aujourd’hui avaient été adoptées il y a plus de 20 ans, mais l’État n’avait jamais eu le courage de les faire appliquer. Nous y voilà enfin.

Le principe défendu par la loi est simple : le français est la langue commune du Québec et, sur cette base, l’État ne communiquera qu’en français. Tout citoyen devra donc le parler. Comme l’italien en Italie, comme le japonais au Japon. La plupart des pays n’ont pas besoin de loi pour confirmer l’existence d’une langue nationale, d’une langue commune. Il va de soi qu’à Rome on fait comme les Romains. C’est d’ailleurs une façon de protéger la diversité du monde.

Mais c’est plus complexe chez nous. Le Québec est simultanément voisin de la plus grande puissance culturelle au monde et province d’un État culturellement satellite de ce géant. Nous avons aussi une vigoureuse communauté anglo-québécoise. Chez nous, l’omniprésence de la culture anglo-saxonne est telle qu’il est assez facile de se laisser convaincre que « faire comme les Romains » veut dire parler anglais.

Pour ajouter à la difficulté, nous habitons deux États qui n’envoient pas le même message quant à la langue commune. Alors que le Québec choisit le français, le Canada, lui, s’annonce bilingue (surtout au Québec), donc pays où l’on peut faire le choix de l’anglais, et ce, n’importe où.

D’où la nécessité de clarifier le message à l’aide d’une loi. Dorénavant donc, l’État québécois, villes incluses, communiquera uniquement dans la langue commune. C’est la fin d’un bilinguisme institutionnel qui ne disait pas son nom.

Évidemment, les dénonciations qui suivent systématiquement toute mesure de protection du français ont commencé à se faire entendre, et pas uniquement sur les médias sociaux : une ville comme Côte-Saint-Luc exprime déjà institutionnellement son mépris.

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Côte-Saint-Luc se moque d’un choix qui, pourtant, est tout à l’honneur du Québec. En effet, nous avons choisi de reconnaître des « ayants droit », c’est-à-dire des exceptions : la communauté anglophone historique du Québec, les personnes immigrantes arrivées il y a moins de six mois, les Autochtones, les personnes qui ne résident pas au Québec et les personnes admissibles à l’école anglaise. Ils pourront tous choisir d’interagir en anglais avec l’État. C’est à faire rêver n’importe quel francophone hors Québec !

Pour profiter des exceptions les concernant, les ayants droit devront s’identifier. Comme mesure d’identification, le gouvernement a choisi de se fier à la bonne foi des gens, ils n’auront donc qu’à indiquer qu’ils appartiennent à ce groupe. On ne fait pas plus simple.

Les ministères, les villes, les sociétés d’État implantent présentement différents mécanismes pour n’offrir des services en anglais qu’à ceux qui y ont droit (message téléphonique, sites internet, etc.). Certaines mesures, certains messages, seront maladroits, il faudra faire des ajustements (j’espère que ceux qui se moqueront de ces maladresses proposeront des solutions). Des gens de mauvaise foi tenteront de contourner la loi, c’est certain. Il est également certain que des gens trouveront difficile de devoir s’adresser en français à l’État. Ils devront demander de l’aide, être accompagnés par un ami. Évidemment, si personne n’était incommodé par la loi, elle serait inutile. Son objectif même est de rendre l’utilisation du français incontournable, nécessaire.

Avec cette loi, la communauté anglophone ne perd aucun droit, c’est le français qui progresse comme langue commune.

C’est dommage de devoir légiférer. Il serait beaucoup plus agréable de se contenter de valoriser la langue, de la rendre attrayante, d’en célébrer les beautés, c’est très important de le faire, je vous en ai déjà parlé ici.

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Mais il faut également reconnaître qu’il y a des résistances, que tous n’adhèrent pas à l’idée qu’il faut préserver le français ni à l’idée que langue et culture sont indissociables. Il faut aussi reconnaître qu’il y a des gens qui se cachent derrière une vision absolutiste des droits individuels et d’autres derrière la défense du bilinguisme pour, dans les faits, défendre le droit d’être unilingue anglais, et ce, même au Québec.

Le Québec constitue moins de 2 % de l’Amérique du Nord, il devra toujours prendre des mesures particulières pour assurer la protection et l’épanouissement de sa langue. Choisir l’inaction ou le laisser-faire serait choisir la loi du plus fort, un principe qui efface les cultures minoritaires. Alors que notre gouvernement national ne communiquera qu’en français pour protéger notre langue, un bien commun, nous, Québécois, resterons, individuellement, les gens les plus bilingues et les plus trilingues en Amérique du Nord. En matière de langue, nous n’avons de leçons à recevoir de personne, surtout pas du Canada anglais, où le bilinguisme recule.

Le français langue commune est la clé de voûte de tout notre édifice linguistique. Il y a, et il y aura toujours, des conséquences à l’application de ce principe. Il faut l’appliquer quand même, sans complexe. Y renoncer serait renoncer à exister.

Précision: dans une version précédente de la chronique, Maxime Pedneaud-Jobin écrit : «une ville comme Côte-Saint-Luc exprime déjà institutionnellement son mépris et indique qu’elle ne respectera pas la loi». Or, même si la ville indique aux citoyens qu’elle ne leur demandera pas de s’identifier, ils n’auraient, de toute façon, pas à le faire. En effet, une exception prévue à la Charte de la langue française permet à certaines municipalités, dont Côte-Saint-Luc, d’obtenir le statut de ville bilingue et d’offrir des services, d’afficher et de communiquer à la fois en français et en anglais avec tous leurs citoyens. Nos excuses.