Le commissaire aux langues officielles du Canada a remis mardi son rapport annuel pour la période d’avril 2022 à mars 2023. Sans surprise, c’est à Air Canada que revient le titre de pire contrevenant, avec 276 plaintes. Tout le secteur aéroportuaire connaît des ratés quand il s’agit de servir la clientèle dans les deux langues officielles au pays.

La fonction publique fédérale fait aussi piètre figure, avec de nombreuses lacunes en matière de langue du travail dans près de 40 ministères et institutions. Le commissaire fait état de l’absence d’outils de mesure pour évaluer la capacité réelle des fonctionnaires de travailler dans la langue de leur choix dans les régions considérées comme bilingues.

Ce rapport regorge d’arguments pour l’adoption de critères linguistiques dans les pratiques de reddition de comptes des grandes institutions canadiennes et québécoises. Au cours de mes récentes études de maîtrise, je me suis penchée sur les liens étroits entre la langue et la responsabilité sociale, les notions d’équité, de diversité et d’inclusion, ainsi que les critères ESG (environnement, société et gouvernance).

Pour avoir été responsable de la conformité linguistique en entreprise pendant une bonne vingtaine d’années, je peux témoigner que les organisations ont leur part de responsabilité en matière de langue.

La valorisation de la langue et de la culture locales constitue un bon moyen pour elles de s’engager à protéger les intérêts de leurs parties prenantes internes (les fonctionnaires qui veulent travailler en français) et externes (la clientèle qui veut se faire servir en français). Et grâce à de bonnes pratiques de gouvernance, elles peuvent contribuer à contrer le déclin du français et favoriser la prospérité de tous les Canadiens, dans une optique d’équité, de diversité et d’inclusion… linguistique.

Ces mesures peuvent être liées aux critères ESG, qui sont au cœur de la reddition de comptes telle qu’on la conçoit aujourd’hui. Du côté social, la langue du travail et du commerce est au cœur de la contribution des organisations aux communautés dans lesquelles elles évoluent, tout particulièrement dans un contexte où la protection de la langue revêt une importance capitale pour le développement de la population francophone.

Bonne gouvernance

L’adoption de politiques linguistiques à tous les échelons des entreprises s’inscrit dans les pratiques exemplaires de gouvernance. La présence de personnes de la diversité, y compris de la diversité linguistique, au sein des conseils d’administration témoigne d’un souci envers les intérêts des différentes parties prenantes, un des critères de la bonne gouvernance. Les organisations qui prennent de telles mesures font preuve d’exemplarité et s’attirent généralement ainsi la faveur des investisseurs.

Malheureusement, la reddition de comptes liée à la langue n’est pas encore un critère d’évaluation du rendement des entreprises ou de leurs équipes de direction.

Pour preuve, La Presse a rapporté dans son édition du 12 avril dernier⁠1 que le lien entre la rémunération du PDG d’Air Canada et son apprentissage du français n’avait pas été démontré, malgré une promesse en ce sens après la tempête déclenchée à l’automne 2021 lors d’une allocution donnée uniquement en anglais à Montréal.

De plus, la nouvelle mouture de la Loi sur les langues officielles ne prévoit aucune obligation pour les dirigeants des sociétés de la Couronne et des autres organisations qui y sont assujetties de maîtriser le français. Il n’est pas étonnant alors de constater un manque d’intérêt et de responsabilité. Même le commissaire avoue que la perspective d’amendes, une nouvelle mesure prévue par la Loi sur les langues officielles, ne risque pas de faire trembler les colonnes du temple d’Air Canada⁠2.

Mais tout n’est pas perdu. Toujours dans l’édition du 12 avril de La Presse⁠3, on apprenait que la Banque Laurentienne avait divulgué en assemblée annuelle les langues maîtrisées par chaque membre de son conseil d’administration. Et si les grandes entreprises s’inspiraient de la Laurentienne pour démontrer leur engagement envers la langue française ? Si elles prenaient les devants et faisaient de la langue un critère de redevabilité ? Je lance l’idée. Ce sera ma contribution individuelle au grand chantier du ministre Roberge.

1. Lisez l’article de Julien Arsenault : « Maîtrise du français et rémunération : une promesse à suivre chez Air Canada » 2. Lisez l’article de La Presse Canadienne : « Langues officielles – Les plaintes contre Air Canada ont triplé » 3. Lisez l’article de Richard Dufour : « Gouvernance : le MEDAC félicite la Laurentienne » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion