« Un baiser, mais à tout prendre, qu’est-ce ? Un serment fait d’un peu plus près, une promesse plus précise, un aveu qui veut se confirmer, un point rose qu’on met sur l’i du verbe aimer ; c’est un secret qui prend la bouche pour oreille, un instant d’infini qui fait un bruit d’abeille, une communion ayant un goût de fleur, une façon d’un peu se respirer le cœur, et d’un peu se goûter, au bord des lèvres, l’âme ! »
Cyrano de Bergerac, acte III, scène X

Mes parents, assez tôt, nous ont fait aimer les grandes œuvres. Celle qui m’a marqué pour la vie, c’est Cyrano de Bergerac. On y trouvait de tout. La droiture. Le courage. L’idéal. L’amour absolu.

Mais c’est surtout la beauté des mots que j’y ai trouvé. La beauté des phrases parfaites, ce qu’on appelle parfois le génie de la langue française.

Ce serait sick1 si les beaux mots et les belles phrases de notre langue devenaient plus à la mode que le vocabulaire des émissions américaines. Ce serait merveilleux si nos élus tentaient de nous faire adopter des mots recherchés plutôt que de parler, à l’Assemblée nationale, de shaker les colonnes du temple, de top gun et de wet dream.

La langue française contient tout ce qu’il faut pour qu’elle redevienne ce qu’elle a longtemps été et qu’elle est toujours en dehors du Canada : une langue de prestige.

Quand mon père avait un coup de vieux, il s’écriait, en citant Don Diègue, personnage du Cid de Corneille : « Ô rage, Ô désespoir. Ô vieillesse ennemie ! ». Il m’a donné le goût de lire la pièce en entier, une pièce où l’on trouve plusieurs autres superbes vers très utiles :

Pour accueillir un compliment : « Un si charmant discours ne se peut trop entendre ».

Pour dénoncer l’âgisme : « Je suis jeune il est vrai ; mais aux âmes bien nées

La valeur n’attend pas le nombre des années ».

Pour éviter le mot « vieux » : « Ses rides sur son front ont gravé ses exploits,

Et nous disent encore ce qu’il fut autrefois ».

Pour souligner le retour des équipes au vestiaire : « Et le combat cessa faute de combattants ».

Pour dénoncer le grand qui domine le petit : « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ».

La bande dessinée peut, elle aussi, transmettre l’amour des mots. Achille Talon, par exemple, est le roi du vocabulaire. Je le lisais avec bonheur… et avec un dictionnaire !

Achille Talon n’arrive pas à la maison, mais dans « la sérénité douillette du foyer protecteur ». Chacune de ses phrases est une découverte : « Je me suis réveillé ce matin du sommeil séraphique auquel peuvent seuls prétendre les contribuables déférents ». « J’ignore d’un pied hautain les allusions malveillantes d’un esprit vulgaire et lourd que mes dons artistiques éclaboussent de mépris ». Et en hiver : « Je vais dégager l’allée avec souplesse, vélocité et ma pelle », etc.

Au détour d’une phrase hilarante, la question philosophique d’Achille : « Mais… Mais cette fleur a trépassé ! Eh ! Oui. Que met-on sur la tombe d’une fleur ? ».

La beauté de la langue, c’est aussi Chloé Sainte-Marie qui chante Miron : « Je marche à toi, je titube à toi, je meurs de toi ». C’est Joséphine Bacon qui s’est « faite belle pour qu’on remarque la moelle de mes os, survivante d’un récit qu’on ne raconte pas ». C’est Paul-Émile Borduas qui écrit à son amoureuse : « Il nous appartient de faire une merveille de notre prochaine rencontre ». C’est Victor Hugo pour qui : « L’art, c’est la pensée humaine qui va brisant toute chaîne ! […], peuple esclave, il te fait libre, peuple libre, il te fait grand ! ».

La beauté de la langue, c’est aussi mon épouse qui me dit alors que je saute dans la voiture pour aller la rejoindre : « J’ai hâte que tu sois à portée de becs ».

Je ne sais pas quel sera l’impact d’une publicité comme celle du faucon pèlerin. Je sais toutefois que la beauté de la langue est le meilleur argument à notre disposition pour la faire aimer.

Charles de Gaulle disait que « Tout homme qui écrit, et qui écrit bien, sert la France ». Écrivons bien. Parlons bien. Nous servirons le Québec.

1. Ceci est une subtile référence à la publicité du gouvernement du Québec, publicité qui a entraîné la rédaction de cette chronique.