Chaque année, depuis presque 20 ans, l’Institut Fraser nous fait le coup. Selon son Generosity Index annuel, en 2022, les Québécois auraient encore été les Canadiens les moins « généreux »⁠1. Pas d’explication, pas de contexte, mais des chiffres qui permettent à ce groupe de recherche ultraconservateur de continuer à dénigrer l’État ayant le filet social le plus solide en Amérique du Nord.

D’abord les chiffres. En matière de dons de charité, la principale différence entre le Québec et le reste du Canada, ce n’est pas la générosité, mais probablement la religion.

Au Canada anglais, les organismes religieux reçoivent la part du lion des contributions des particuliers (40 %), ce qui n’est pas le cas au Québec. Évidemment, certains organismes religieux renforcent le filet social, mais pas nécessairement. Pour être enregistrés comme organisme de bienfaisance et ainsi pouvoir remettre des reçus pour crédit d’impôt, les organismes de type religieux peuvent se limiter à « promouvoir la religion »⁠2, et les gouvernements ne documentent pas ce que le crédit d’impôt a servi à financer. Cela étant dit, quand on exclut les dons religieux en tout ou en partie, la différence Canada-Québec s’atténue. Mais ce n’est pas ce qui est important.

On nous dit également que les Québécois donnent moins parce qu’ils sont moins riches qu’ailleurs au Canada. C’est vrai, les grands mécènes sont encore rares chez nous, le Québec inc. est relativement jeune. Mais les choses changent rapidement. À ce sujet, je vous invite à (re)lire cette merveilleuse chronique de Francis Vailles⁠3 : le revenu total médian des Québécois dépasse maintenant celui des Ontariens. Cet accroissement de notre richesse collective expliquerait l’augmentation récente, chez nous, du recours à des dons planifiés, comme des versements mensuels et des dons légués par testament. Il y a, là aussi, un progrès. Mais ce n’est pas non plus ce qui est important.

Autre élément. L’Institut Fraser ne tient pas compte des dons ponctuels : quand une crise se présente, les Québécois donnent spontanément. Les grandes campagnes publiques sont très efficaces chez nous.

Nous sommes champions de ce type de dons, mais l’Institut n’en tient pas compte, comme il ne tient pas compte non plus des dons en temps ou en nature. Mais ce n’est pas encore ça l’important.

L’important, ce qui explique vraiment que nous donnions moins aux organismes de charité, c’est que nous croyons que la lutte contre la pauvreté ne devrait pas dépendre du bon vouloir de riches donateurs, mais bien de l’État. En conséquence, nous acceptons de payer des impôts, et ce, plus qu’ailleurs. Et les résultats sont là : il y a moins de grande pauvreté et moins d’inégalités chez nous que dans le reste du Canada… parce que l’État joue son rôle.

J’ai eu la chance, plus souvent qu’à mon tour, de constater qu’en temps de crise le secteur privé et la société civile ont une puissante capacité d’action. Lors des inondations de 2017 et 2019, ils ont aidé des gens, sauvé des maisons, complété avec brio l’action de l’État. Mais l’État était incontournable : il assurait la santé et la sécurité des sinistrés ainsi que l’essentiel de la protection des biens et des infrastructures.

Des organisations comme l’Institut Fraser souhaiteraient que, grâce à la philanthropie, l’État puisse se désengager. Ce serait une erreur.

La générosité des gens doit complémenter l’action de l’État et non pas essayer de la remplacer, elle est irremplaçable.

Il est absurde que des refuges pour sans-abri ou encore des soupes populaires dépendent de la charité des bien nantis pour fonctionner. C’est à l’État de s’assurer que les plus démunis ne manquent de rien.

Si le Québec est l’État en Amérique du Nord où il y a le moins d’inégalités sociales, le moins de pauvreté chez les enfants, et qu’il est l’endroit où l’espérance de vie est la plus grande, c’est grâce aux impôts que nous payons, pas grâce à la charité.

Il est évidemment souhaitable que les gens donnent aux organismes de charité, mais il est surtout essentiel qu’ils continuent à soutenir l’action de l’État par leurs impôts. C’est, de loin, ce qui est le plus efficace et c’est là que s’exprime le mieux l’immense solidarité, l’immense générosité des Québécois.

1. Consultez l’Index de générosité de l’Institut Fraser (en anglais) 2. Lisez la lettre d’opinion : « Le Canada, un pays qui favorise les religions » 3. Lisez la chronique de Francis Vailles