Et si je vous disais que le Québécois type gagne maintenant davantage que son voisin ontarien, me croiriez-vous ? Que le rattrapage souhaité par François Legault est déjà fait, à certains égards ? Sceptique ?

C’est pourtant vrai : le revenu total médian des Québécois excède maintenant celui des Ontariens. Après des années de lente progression, ce revenu médian des particuliers a dépassé celui de nos voisins en 2019 chez les 25-54 ans, ce groupe qui constitue le repère de bien des comparaisons.

Il faut lever notre chapeau aux femmes du Québec, en particulier, qui sont responsables d’une bonne part de ce rattrapage, selon les données de Statistique Canada, basées sur les déclarations de revenus au fédéral. L’année 2020 est la plus récente disponible⁠1.

En 2020, donc, le revenu médian des 25-54 ans a atteint 51 560 $ au Québec, ce qui est près de 3 % de plus que celui des Ontariens. L’écart n’est pas grand, mais il faut savoir qu’il y a 10 ans, ce sont les Ontariens qui faisaient 6 % de plus. Le revenu médian est le point milieu de la distribution des revenus. Il sépare en deux parts égales ceux qui font moins de revenus et ceux qui en font plus.

Sous l’angle du revenu médian, les Québécois de toutes les tranches d’âge dépassent les Ontariens et les Britanno-Colombiens, sauf chez les 45 ans et plus et encore davantage chez les 55 ans et plus, où le retard du Québec était de 10 % sur l’Ontario et de près de 7 % sur la Colombie-Britannique en 2020.

Parmi les grandes provinces, l’Alberta continue de dominer : le revenu des 25-54 ans était de 53 750 $ en 2020, soit 4,2 % de plus qu’au Québec. L’avantage albertain était cependant de 26 % il y a 10 ans.

L’écart qui persiste chez les 55 ans et plus s’explique par la proportion plus faible des Québécois de cet âge qui travaillent ou, dit autrement, par les retraites hâtives⁠2. Ce n’est pas pour rien qu’à peu près tous les partis ont prévu des mesures pour inciter les travailleurs expérimentés à rester sur le marché du travail.

Le retard pour ces cohortes fait en sorte que pour l’ensemble de la population (les 15 ans et plus), le Québec maintient un léger retard de 1 % pour le revenu médian (40 320 $ au Québec) face à l’Ontario. Ce retard était de 7 % en 2009.

Fini le complexe d’infériorité

Cette comparaison de François Legault avec l’Ontario — la province économiquement la plus semblable –, plusieurs économistes québécois la font depuis très longtemps. À chaque décennie depuis 1960, il en est question dans les budgets du Québec, à divers degrés, ai-je constaté en consultant les archives⁠3.

Pour une raison bien simple, de nos jours : rattraper l’Ontario signifierait que le Québec a inversé le lent déclin économique qui a eu cours depuis les années 1950, que les Québécois ne seraient plus parmi les « pauvres » du Canada, que nous pourrions enfin nous débarrasser de ce complexe d’infériorité de Canadiens français nés pour un petit pain, qui a marqué la génération X, les baby-boomers et les plus vieux, notamment.

Pour se comparer, François Legault, comme bien des économistes, préfère utiliser le produit intérieur brut (PIB) par habitant, qui est le reflet non seulement des revenus des particuliers, mais aussi de toutes les composantes de l’activité économique.

En 2022, le PIB par habitant du Québec est 13,6 % plus bas que celui de l’Ontario, mais il faut savoir que cet écart était de 16,4 % en 2018, est-il indiqué au dernier budget du Québec, et souvent répété par Francois Legault pendant la campagne électorale.

Peu importe l’angle, le rattrapage des Québécois sur les autres provinces canadiennes est manifeste.

Il a débuté il y a plusieurs années, avant l’arrivée de la CAQ au pouvoir.

Merci aux femmes !

Le revenu médian ne dit pas tout. Quand on utilise plutôt le revenu moyen, les Québécois continuent d’avoir un certain retard, mais il est en décroissance constante depuis 2009. Ce signal différent entre le revenu médian et moyen s’explique par le fait que les inégalités de revenus sont plus grandes en Ontario qu’au Québec, entre autres.

Plus précisément, le revenu total moyen des 25-54 ans a été de 61 070 $ en 2020, soit 5 % de moins que les 64 420 $ de l’Ontario. L’écart était de 12 % il y a 10 ans.

L’avancée spectaculaire des femmes au Québec, notamment grâce au programme de garderies, est l’une des raisons qui expliquent le rattrapage.

Ainsi, le revenu moyen des Québécoises de 25-54 ans en 2020 (54 490 $) a non seulement rejoint celui des Ontariennes, mais il dépasse maintenant de 1 % celui des Albertaines et de 6 % celui des Britannico-Colombiennes.

De leur côté, les hommes du Québec, dans la même tranche d’âge, ont un revenu moyen de 10 % sous celui de l’Ontario, mais cet écart était de 15 % il y a 10 ans.

La progression des femmes du Québec de 25-54 ans peut être vue sous un autre angle. Aujourd’hui, elles gagnent 83 % du revenu des hommes, contre 74 % en 2009. Ce rapport n’était que de 75 % en Ontario en 2020 et de 67 % en Alberta. Dit autrement, les femmes du Québec ont encore un écart à combler, mais les autres grandes provinces sont en retard d’au moins 10 ans sur le Québec à ce chapitre⁠4.

Qu’est-ce qui explique le rattrapage du Québec ? Plusieurs facteurs. En plus de l’avancée des femmes, il y a le dynamisme de nos entrepreneurs, comme l’atteinte de l’équilibre budgétaire, au milieu des années 2010, qui a assaini notre économie.

Difficile de nier que la fin du débat sur l’indépendance ait pu avoir un effet, tant sur l’attrait des investissements et du personnel étrangers que sur le changement d’intérêts des forces vives du Québec. L’effet de la pénurie de main-d’œuvre plus grand au Québec a pu jouer, quoique son impact sur les salaires est somme toute assez récent.

Mais il y a aussi le recul de nos « concurrents » que sont l’Ontario et l’Alberta, qui ont durement subi les crises financière et pétrolière de 2008 et de 2014, respectivement. Soyons avertis : leur retour en force pourrait rendre la tâche plus difficile au Québec au cours des prochaines années.

1. Les transferts gouvernementaux durant l’année pandémique ont fait grimper le revenu médian et moyen de 2020 par rapport à 2019, mais les écarts avec les autres provinces sont restés semblables, selon les données de Statistique Canada.

2. Au Québec, le taux d’emploi des 55 ans et plus est de 32 %, contre 35 % en Ontario et 38 % en Alberta. En comparaison, le taux d’emploi des 25-54 ans est de 86,5 % au Québec, un sommet au Canada.

3. Consultez les archives des budgets du Québec

4. Ce rapport du revenu femme/homme ne tient pas compte de la nature de l’emploi (santé, sciences, tourisme, etc.) ni du nombre d’heures travaillées. Si on en tenait compte, l’écart serait réduit, mais sans être comblé.